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De la glace dans l’été arctique. Tellement de glace que le passage du Nord-Ouest s’est refermé bien plus tôt que d’habitude cette année. Et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette glace qui a envahi la mer de Beaufort au mois d’août est un signe préoccupant du réchauffement climatique.

Anne Quéméré est une aventurière qui aime la mer, la navigation en solitaire et les hautes latitudes. Elle a traversé seule l’Atlantique à la rame, puis avec un bateau tracté par un kite, elle s’est mesurée en 2014 au passage du Nord-Ouest avec son kayak puis cet été avec son petit bateau Arctic Solar. Ce bateau de 6 mètres en bois lui avait d'abord servi pour la traversée du Pacifique en kite. Cette année, le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) de Neuchâtel a installé 10 m2 de panneaux solaires sur le bateau, qui alimentent en électricité un moteur fourni par l’entreprise Torqeedo. Il a été rebaptisé Icade, du nom de son sponsor.

 

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© NUANCES IMPRESSION

(DROITS RESERVES)

199927 Anne Quéméré
© DROITS RESERVES

(DROITS RESERVES)

 

« Son » passage 2018 du Nord-Ouest, Anne Quéméré l’a minutieusement préparé. Son idée est d’aller observer, dans un silence total, l’écosystème de cet endroit peu exploré. Mais aussi de tester les capacités de l’énergie solaire et de montrer que cette technologie est une vraie alternative pour la propulsion des bateaux. En juin, elle est dans la dernière ligne de préparation de son expédition au départ de Tuktoyaktuk au nord-ouest du Canada et vers Pond Inlet, 3500 km plus loin à l’Est, via le passage du Nord-Ouest. « Le climat en Arctique est très différent, selon là où l’on se trouve. On savait par exemple, que cet été, les températures au Groenland étaient au-dessus de la moyenne. Mais quand je suis arrivée au Canada, on m’a rapidement prévenu que les glaces n’étaient pas loin, qu’il faisait froid et qu’il y avait du vent ».

 

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© LONSDALE

 

Pour rejoindre le village de Tuktoyaktuk, il n’y a qu’un seul moyen : une barge de ravitaillement qui, une fois par an, descend le fleuve Mackenzie pour amener tout ce qui est nécessaire aux communautés Inuits vivant dans ces extrémités du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest. Anne Quéméré a prévu d’y embarquer avec son petit bateau. « Cette année, la barge avait un mois de retard. Les eaux du fleuve Mackenzie avaient monté, toutes les bouées du chenal ont été arrachées et balayées par des troncs d’arbres ». Elle se met finalement en route mais doit débarquer en amont de ce qui était initialement prévu. « La barge a pu nous amener jusqu’à Inuvik, à environ 200 km de mon point de départ ».

Icade est mis à l’eau et le fleuve est « avalé » en deux jours. Anne rejoint la mer de Beaufort. Elle s’engage dans sa traversée, Icade marche entre 4 et 6 nœuds. « Les cartes de glace montraient des blocs dans des endroits où il n’y avait rien lors de mon passage il y a quatre ans ». Le drone, qu’elle envoie en précurseur, repère rapidement de la glace. « Ce ne sont pas des icebergs que j’ai découverts, c’était de la glace grise, de le glace pérenne de la calotte glaciaire arctique qui s’est détachée des glaciers et qui dérive vers le Sud ». Les derniers remparts qui fondent et s’effondrent.

 

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© DROITS RESERVES

Les glaces grises entourent Icade (DROITS RESERVES)

 

Au bout de cinq jours, Anne se retrouve happée dans le pack, là où il y a quatre ans il n’y avait aucune glace. « La situation a été rapidement compliquée par ces glaces. Je me trouvais dans une zone de basse pression, avec une tempête quasi-permanente ». La situation devient dangereuse, le bateau peut se retrouver pris dans les glaces qui pourraient le compresser. Le 31 juillet, Anne se trouve devant Clinton Point, avec 35 nœuds de vent de Nord. « Je ne pouvais plus raisonnablement continuer, c’était trop dangereux. J’ai donc cherché un endroit pour me mettre à l’abri ». Dans cet lieu particulièrement inhospitalier, la navigatrice a de la chance. Sur terre, elle aperçoit un point bleu « un avion venu récupérer des scientifiques en mission dans la zone ». Les pilotes l’aident à hisser Icade sur le rivage puis à le remonter sur la grève. Elle s’envole avec eux et revient quelques jours plus tard. « Le bateau, pourtant éloigné de la mer, était encore remonté, poussé par la glace ». La coque est fragilisée, l’époxy est à nu. « Il n’était plus en état de naviguer ». La mort dans l’âme, Anne décide de l’abriter pour venir le récupérer plus tard. « Les gens de Ponant, qui avaient entendu parler de mon histoire, m’ont proposé de le ramener lors de leur passage ». Las, les navires de la compagnie de croisière rebroussent aussi chemin, quelques semaines plus tard. Le passage du Nord-Ouest était infranchissable cette année.

Anne Quéméré n’est pas du genre à se laisser abattre. Elle veut repartir et travailler sur la propulsion solaire. « Les panneaux développés pour Icade ont prouvé leur performance. J’imagine un nouveau bateau, mieux adapté au passage du Nord-Ouest, avec un moteur inboard, des batteries plus légères, une coque renforcée et une surface de panneaux solaires plus importante ». Un bateau solide, flexible, propre et silencieux particulièrement adapté dans ces zones sensibles et à partir duquel on peut imaginer embarquer du matériel scientifique. Anne Quéméré cherche un budget pour son bateau, pour continuer cette belle aventure du photovoltaïque.

 

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Mais aussi pour continuer à témoigner. « Ce que j’ai vu cet été, c’est vraiment très préoccupant. Avant, on voyait des caribous qui se mettaient face au vent sur la plage pour éviter les moustiques. Cet été, je n’ai vu ni caribous, ni moustiques, il faisait trop froid. En revanche, j’ai vu beaucoup de grizzlis qui normalement descendent dans la forêt boréale ». Pour les communautés locales, les conséquences se font également sentir. « Les Inuits n’ont pas pu pêcher de belugas cette année.  Les baleines ne sont pas venues, la glace les a empêchés de trouver leur nourriture. « Cette pêche est une des bases de l'alimentation des Inuits. A la place, ils vont devoir acheter beaucoup de nourriture importée pour la remplacer ». Là-bas, la nature et les hommes, sentinelles et premières victimes du réchauffement climatique, souffrent. « La situation est grave et il faut que tout le monde puisse le savoir ».

Propos recueillis par Caroline Britz, novembre 2018

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Grizzli (DROITS RESERVES)

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Un phoque dans les glaces (DROITS RESERVES)

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