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C’est sans doute un des projets scientifiques les plus audacieux et innovants du moment : une station dérivante fonctionnant uniquement avec des énergies renouvelables et qui va effectuer des mesures en continu dans l'un des endroits les moins connus au monde. Le Polar Pod, projet imaginé par Jean-Louis Etienne en collaboration avec le cabinet Ship ST, va, pendant plus de deux ans, se laisser porter par l’immense courant circumpolaire antarctique (24.000 km de long, 2000 km de large, 150 millions de m3/sec de débit) à une vitesse moyenne de 0.5 nœuds. Cette « station spatiale des mers », imaginée dès 2013, vient de bénéficier de l’appui de l’Etat français, comme annoncé le 12 décembre au One Planet Summit de Paris.

 

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© SHIP ST

(© SHIP ST)

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© SHIP ST

(©SHIP ST)

 

Polar Pod est un engin unique : une station dérivante autonome montée sur une architecture très particulière inspirée des plateformes pétrolières de type SPAR. En tout, Polar Pod va mesurer 125 mètres de haut pour un tirant d’eau de 75 mètres et un tirant d’air de 40 mètres. Il sera constitué d’un flotteur en acier, d’une nacelle en aluminium et de 260 m² de voilure répartis en deux ailes.  D’un poids en charge de 800 tonnes, son ballast pèse quant à lui 150 tonnes.

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© SHIP STUDIO

(© SHIP ST)

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© SHIP ST

(© SHIP ST)

 

Quand Laurent Mermier, son architecte naval, l’a imaginé, il savait que le projet de Jean-Louis Etienne était de faire dériver une station au milieu des féroces latitudes des 40 et 50ème Sud. Il a donc imaginé une solution qui garantirait, même dans des conditions difficiles, la stabilité de la plateforme. Reprenant le principe du culbuto, Polar Pod revient toujours à la verticale, même s’il est couché. La plateforme est prévue pour être en déphasage par rapport aux vagues.  Son déplacement vertical correspond à une hauteur de 20% par rapport à celle de la vague : pour une vague de 10 mètres, le Polar Pod va donc avoir un mouvement de 2 mètres. Il sera capable de supporter des états de mer de 19 à 20 mètres de hauteur significative, soit des vagues extrêmes de 36 mètres de crête à creux et des vents dépassant les 70 nœuds.

 

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© DROITS RESERVES

Départ après remorquage de Port Elizabeth (DROITS RESERVES)

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(DROITS RESERVES)

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Arrivée au sud du Cap (DROITS RESERVES)

 

Pour avancer, la plateforme s’appuiera principalement sur la dérive du courant. Si le vent vient dans la bonne direction, la voilure est hissée. Elle est ferlée dans le cas contraire. Hisser seulement sur une aile permet d'orienter l'engin de 40 degrés par rapport au vent pour le conserver face aux vagues dans le très gros temps. Le tirant d'eau est réglable : pour plus de confort, la nacelle est descendue proche de l'eau, ce qui enfonce le flotteur dans une zone calme. Par tempête, on remonte la nacelle pour échapper aux lames.

 

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© SHIP ST

La voilure du Polar Pod (© SHIP ST)

 

Sept personnes pourront embarquer sur le navire, quatre scientifiques et trois marins qui assureront la conduite de la station. L'équipage sera volontaire et suivra des formations spécifiques (sécurité, maintenabilité des équipements, économie d'énergie). Les relèves s’effectueront tous les deux à trois mois. Toute l'énergie pour chauffer, nourrir l'équipage et faire fonctionner la plateforme et les équipements scientifiques proviendra de 4 éoliennes de 3 kW chacune. Un groupe électrogène de secours pour la sécurité (défaillance du système principal, évacuation, décalage de la dérive par propulseur transversal pour éviter un navire ou un iceberg) sera quand même installé à bord. Le confort sera spartiate : un petit carré et des cabines très étroites, 6 simples et une double.

Avec ce projet, Jean-Louis Etienne propose une toute nouvelle approche scientifique. Le support imaginé présente en effet de nombreux atouts en comparaison de moyens actuels d’acquisition de données. Par rapport à un navire océanographique, il va présenter l’avantage de pouvoir effectuer des mesures en continu, sur des périodes allant de quelques jours à plusieurs mois, à toutes les saisons et même par gros temps. Outre l’impact environnemental et le coût d’utilisation moindre, il se distingue aussi par des mouvements de plateforme réduits et donc de mesures plus précises. Par rapport à une bouée Argos, il offre l’avantage de pouvoir effectuer des mesures bien plus complexes, puisque 49 équipements seront à bord dont 35 fonctionnant en continu. Ses concepteurs le voient néanmoins comme une « nouvelle composante de l’océanographie qui n’a cependant pas l’ambition de remplacer les autres moyens dont il est complémentaire ».

Les scientifiques ont été séduits : plus d’une cinquantaine de laboratoires, d’universités et d’écoles sont intéressés par cette étude au long-cours. Des climatologues, qui vont pouvoir réaliser des mesures d’échanges atmosphère-océan très précis ; des biologistes qui vont recenser les espèces marines, du krill à la baleine bleue, grâce aux hydrophones installés sur la quille ; de l’océanographie spatiale qui va bénéficier d’un relais dans un endroit très peu fréquenter ou encore de l’évaluation de la pollution par plastique ou micro-contaminants. Le programme scientifique de Polar Pod est déjà bien garni, avec des projets portés par des chercheurs français et internationaux.

 

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© SHIP ST

Essais de maquette dans le bassin d'Ifremer Brest (© SHIP ST)

 

Avec désormais le soutien de l’Etat, le projet va pouvoir enclencher la vitesse supérieure. Cet été, déjà, une campagne a été menée dans le bassin d’essais de l’Ifremer à Brest pour mesurer les efforts entre la nacelle et le treillis. Les prochains mois devraient être consacrés à la consolidation des études de maquette avant une construction envisagée en 2018. Après des essais en mer, le Polar Pod devrait être remorqué à la verticale sur zone, avant d’être ballasté pour être basculé à la verticale. Il pourra alors démarrer sa dérive qui s’étalera entre 2019 et 2022.

 

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© DR

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Science et Environnement