A l'occasion du One Ocean Summit, Mer et Marine donne la parole aux chercheurs de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université. Denis Mercier détaille ici les différents scenarii qui pourraient résulter de l'élévation du niveau des mers.
Les littoraux représentent par définition des interfaces où se rencontrent l’océan, l’atmosphère et la terre. À l’échelle mondiale, ils concentrent des enjeux stratégiques, des infrastructures et des habitants de plus en plus nombreux attirés par les aménités de ces espaces souvent magnifiques. Les grandes tendances de notre monde contemporain, la globalisation de l’économie marchande et la maritimisation des échanges accentuent la littoralisation des activités. Parallèlement, ces espaces côtiers sont confrontés aux grands changements contemporains incarnés par l’élévation du niveau de la mer liée au réchauffement climatique et à la fonte de la cryosphère terrestre notamment dans les milieux polaires arctiques. La présence accrue des enjeux sur ces espaces littoraux confrontés à l’augmentation de l’intensité des aléas météo-marins (tempêtes, cyclones tropicaux) induit un accroissement des risques côtiers et de la vulnérabilité des sociétés littorales, même si la gestion des risques (prévention, prédiction, prévision) s’améliore afin de tenter de rendre moins douloureuses les catastrophes à venir et plus résilientes les communautés côtières. Cependant, la géographie nous apprend à nuancer ces tendances lourdes et inéluctables. En effet, si des littoraux sont et seront encore plus exposés aux risques côtiers comme ceux du pourtour du golfe du Bengale, d’autres seront épargnés par ces dynamiques, comme les littoraux des pays scandinaves.
À l’échelle mondiale, l’élévation du niveau de la mer est de 20 centimètres depuis le début du 20e siècle. Le GIEC l’estime à 40 à 80 cm d’ici à 2100. Cette élévation du niveau de la mer (eustatisme positif) s’explique par l’apport d’eau douce en provenance des continents, par la fonte des glaciers de montagne et des vastes inlandsis du Groenland et de l’Antarctique et par l’élévation de la température de surface des eaux océaniques. Entre 1961 et 2016, la fonte des glaciers a été estimée à 9 000 milliards de tonnes augmentant le niveau des océans de 27 mm. Cette élévation du niveau de la mer s’inscrit dans le cadre du réchauffement climatique contemporain et se prolongera encore bien au-delà du siècle en cours avec une élévation de l’ordre de 5 m d’ici à 2300.
Les conséquences de cette élévation du niveau de la mer sur les littoraux dépendront de deux choses : le comportement de la croûte continentale (l’équilibre isostatique) et le type de littoral. On peut ainsi définir un niveau marin relatif qui prend en compte l’élévation du niveau de la mer d’un côté et les variations du niveau du sol de l’autre. Ainsi, en prenant en compte une élévation du niveau de la mer de + 40 à + 80 cm d’ici à 2100, trois cas de figures se présentent sur les littoraux du monde en fonction de la dynamique isostatique (figure 1).

Figure 1 : Évolution du niveau marin relatif entre 2000 et 2100
Le premier cas de figure se rencontre par exemple sur les littoraux de France métropolitaine, où le continent est considéré comme stable (isostasie = 0). L’élévation du niveau marin relatif sera alors identique à l’élévation du niveau de la mer (eustatisme positif), de + 40 à + 80 cm d’ici à 2100.
Le deuxième cas de figure se rencontre dans les régions septentrionales de la planète comme en Scandinavie, où le rebond post-glaciaire, actif depuis environ 10 000 ans, est encore de l’ordre de + 1 cm par an, soit 1 m par siècle, sur les littoraux du golfe de Botnie par exemple. Ainsi, avec la même élévation eustatique de + 40 à + 80 cm, le niveau marin relatif sera inférieur en 2100 de 60 à 20 cm à ce qu’il est aujourd’hui. Ces littoraux de Scandinavie ne connaîtront donc pas de risque de submersion marine avant des décennies. Il en est de même des régions tectoniquement actives liées à la subduction des plaques océaniques sous les plaques continentales comme les littoraux du pourtour de l’océan Pacifique.
Le troisième cas de figure est celui des littoraux dits subsidents, c’est-à-dire qui s’affaissent. C’est le cas de tous les deltas du monde, qui connaissent une compaction naturelle des sédiments apportés par les fleuves. Les littoraux densément urbanisés dont les infrastructures pèsent sur la croûte terrestre et où les densités élevées de la population induisent des pompages importants des nappes phréatiques enregistrent également une subsidence qui peut aller jusqu’à 3 cm par an, soit 3 m par siècle, à Bangkok par exemple. Dès lors, le niveau marin relatif sera de l’ordre de + 3,40 m à + 3,80 m d’ici 2100. Ces littoraux subsidents seront par conséquent les plus impactés par des inondations face à cet accroissement du niveau marin exacerbé par la subsidence naturelle et/ou artificielle des parties terrestres.
En projetant ces trois évolutions du niveau marin relatif sur les types de littoraux, nous nous retrouvons à l’échelle mondiale avec une mosaïque de cas de figure.
Les littoraux les plus vulnérables des régions stables seront les marais maritimes et les espaces poldérisés par les sociétés depuis des siècles, au départ pour l’agriculture comme les marais maritimes du littoral atlantique de l’Europe occidentale, puis pour l’industrialisation et les infrastructures portuaires comme dans les régions estuariennes de la basse Seine et de la basse Loire.
Dans les régions deltaïques de l’Asie du Sud-Est, comme le vaste delta du Gange-Brahmapoutre-Meghna (environ 150 000 km2), tous les indicateurs sont défavorables : subsidence jusqu’à 7 mm par an, parmi les plus fortes densités de population au monde (jusqu’à 1 000 habitants par km2), réchauffement de l’océan de surface, violence des cyclones (en 1970 le cyclone Bhola aurait entraîné la mort d’environ 300 000 personnes). Les sociétés littorales, surtout les plus pauvres comme sur les rivages du golfe du Bengale, seront donc encore plus menacées par les assauts de la mer (figure 2).

Figure 2 : Confrontation spatiale sur les littoraux subsidents entre l’accroissement des enjeux socio-économiques et les effets cumulés du changement climatique avec l’élévation du niveau de la mer et l’intensification des événements météo-marins extrêmes.
Enfin, seules les régions scandinaves ou celles du pourtour de l’océan Pacifique ne seront pas menacées par l’élévation du niveau de la mer.
Dès lors, les littoraux du monde ne seront pas tous confrontés aux mêmes difficultés face à l’élévation du niveau de la mer, mais l’érosion des plages, le recul des falaises et la submersion des zones basses (marais maritimes et zones deltaïques) seront des conséquences directes de cette confrontation à long terme entre l’océan et les parties terrestres.

L'auteur : Denis Mercier, professeur des universités en géographie, Faculté des Lettres de Sorbonne Université, Laboratoire de Géographie Physique : environnements quaternaires et actuels (UMR 8591 CNRS)
Références pour aller plus loin :
Becker M. & al. (2020). Water level changes, subsidence, and sea level rise in the Ganges–Brahmaputra–Meghna delta. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, Vol. 117, n° 4, pp. 1867–1876
www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1912921117
Erkens, G., Bucx, T., Dam, R., de Lange, G., & Lambert, J. (2015). Sinking coastal cities, Proceedings of the International Association of Hydrological Sciences, n°372, pp. 189–198, https://doi.org/10.5194/piahs-372-189-2015
Lageat, Yannick (2019). Les variations du niveau des mers. Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 250 p.
Mercier, Denis (dir.) (2021). Les impacts spatiaux du changement climatique, Londres, ISTE édition, 321 p.
Alliance Sorbonne Université : l'Institut de l'Océan
Mille cinq cents enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens mènent des travaux sur les océans au sein de l’Alliance Sorbonne Université dans près de trente laboratoires. C’est la plus grande université de recherche marine d’Europe.
Les travaux et les enseignements qui y sont réalisés relèvent de disciplines très variées, notamment la physique, la climatologie, la chimie, la géologie, la biologie, l’écologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, la paléontologie, la sociologie, la géopolitique…
Créé il y a un an, l’Institut de l'Océan a pour objectif de rapprocher ces équipes sur des projets océaniques interdisciplinaires, dégager une vision transverse et globale sur des problématiques maritimes, transmettre ces connaissances et faire valoir l’excellence et l’expertise maritime de l’Alliance Sorbonne Université.
L’institut de l'Océan est donc interdisciplinaire. Il s’applique à créer des synergies entre les équipes de recherche, à enrichir l’offre d'enseignement universitaire mais aussi de formation tout au long de la vie, à développer l’expertise mais aussi la science participative, et à consolider l’exploitation des grands outils scientifiques. Il a enfin pour mission de développer des liens de recherche et d’innovation entre Sorbonne Université et le monde maritime, ses acteurs institutionnels et économiques.
Les composantes de l’Alliance les plus impliquées dans la création de l’Institut de l'Océan sont Sorbonne Université et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Elles disposent de cinq stations maritimes à Dinard, Roscoff et Concarneau en Bretagne, Banyuls et Villefranche-sur-Mer sur les côtes méditerranéennes. L’École Navale et la Marine nationale ont été associées à la création de l’Institut.
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