Suardiaz a inauguré hier, à Montoir-de-Bretagne, le renforcement de sa ligne historique avec Vigo. Grâce à l’ajout d’un second navire, l’armement espagnol propose désormais trois allers-retours par semaine, contre deux précédemment. Et il projette déjà de monter à quatre rotations, toujours avec deux navires, dès que le taux de remplissage le permettra. L’augmentation du cadencement de ce service, lancé il y a quarante ans, constitue en fait la première étape du développement d’une grande autoroute maritime reliant les ports du Havre, de Nantes Saint-Nazaire, de Vigo et d’Algésiras.
Un projet en souffrance depuis 2009
Sur la table depuis la fin des années 2000, ce projet avait été acté en 2009 par les gouvernements français et espagnol, en même temps que celui de la liaison entre Montoir et Gijón. Cette dernière avait été lancée en septembre 2010 par Louis Dreyfus Armateurs pour être finalement suspendue quatre ans plus tard faute de rentabilité (LDA dit avoir perdu malgré les subventions 6 millions d’euros en quatre ans). Quant au tronçon devant desservir Le Havre, Vigo et Algésiras, il devait être exploité par la compagnie espagnole Trasmediterranea à partir de 2011. Mais il n’a jamais vu le jour et a finalement été repris par Suardiaz, auquel son compatriote a cédé ses droits d’exploitation en juin dernier.

(© : GPMNSN - ANDRE BOCQUEL)
27 millions d’euros d’aides attendues
Après l’échec de LDA et le retrait de Trasmediterranea, l’opérateur de la ligne Montoir-Vigo est donc à la manœuvre pour reprendre à son compte l’ensemble du projet d’Autoroute Maritime Atlantique. Dans cette perspective, il a déposé un dossier pour bénéficier d’aides étatiques et européennes. Alors que Montoir-Gijón a reçu en quatre ans 30 millions d’euros de la part de la France et de l’Espagne (15 chacune), auxquels se sont ajoutés 4 millions d’euros en provenance de l’Europe, les subventions ont été revues à la baisse. Devant également atteindre 30 millions d’euros lorsque le projet a été acté en 2009, elles ont été réduites à 24 millions pour la France et l’Espagne (12 chacune), cela sur une période de 7 ans. Une somme qui doit être complétée par le fonds européen Marco Polo, à hauteur de 3 millions d’euros. Le montant total des aides prévues, soit 27 millions d’euros, couvre l’ensemble des tronçons entre Le Havre, Montoir, Vigo et Algésiras.
Fortement soutenu par les autorités portuaires, notamment celles de Nantes Saint-Nazaire qui accentuent leur politique de diversification des trafics, le dossier bénéficie également de la bienveillance du gouvernement espagnol. Toutes les formalités sont d'ailleurs bouclées à Madrid, ce qui n'est cependant pas encore le cas à Paris, où l’on se fait apparemment attendre. Avec pour conséquence de retarder l’ensemble du processus puisqu’au-delà des aides européennes, les subventions étatiques ne peuvent être débloquées sans l’aval de Bruxelles. Alors que les autorités européennes auront deux mois pour instruire le projet une fois qu’elles auront le dossier franco-espagnol en main, la mise en œuvre du dispositif de soutien est espérée d’ici l’été. En attendant, Suardiaz a décidé pour des raisons commerciales d’anticiper ces financements publics en lançant immédiatement sur Montoir-Vigo un service renforcé avec deux navires. Un risque industriel impératif pour capter au plus vite les futurs utilisateurs de l’autoroute maritime.

Un navire de Suardiaz, ici au Havre (© : FABIEN MONTREUIL)
Ouverture progressive des lignes vers Le Havre et Algésiras
Concernant les autres tronçons, c'est-à-dire les liaisons vers Le Havre et Algésiras, aucun planning n’est pour le moment avancé. Pas plus d’ailleurs que l’architecture des lignes. Y aura-t-il une desserte des quatre ports par un même service et/ou des rotations directes entre Le Havre et l’Espagne ? Pour l’heure, Suardiaz préfère ne pas s’avancer, si ce n’est pour confirmer que cette extension nécessitera des navires supplémentaires. L’armement espagnol, qui a eu tout le loisir de voir douchés de précédents projets lancés en fanfare, se veut en fait très pragmatique et a l’intension de procéder par étapes pour minimiser les risques. « Nous allons développer cette autoroute maritime pas à pas. L’objectif est, dans un premier temps, de consolider et développer le service existant. Ensuite nous étendrons le réseau, à priori vers Le Havre d’abord, puis vers Algésiras », explique Marcos Duato, directeur marketing de Suardiaz. Interrogé sur d’éventuelles contraintes quant à ces futurs tronçons, celui-ci assure que les aides étatiques et européennes, même si elles couvrent l’ensemble du projet AMA, n’imposent pas obligatoirement d’ouvrir les futures lignes. Moyennant quoi, ces services semblent bien partis pour voir le jour dans les toutes prochaines années. C’est en tous cas le message qu’ont voulu faire passer les ports d’Algésiras et Le Havre qui, aux côtés de leurs homologues de Vigo et Nantes Saint-Nazaire, ont pris chacun, fin 2014, une participation symbolique de 0.25% dans Suardiaz Atlantica, la société d’exploitation chargée d’opérer l’Autoroute maritime Atlantique (qui est donc détenue à hauteur de 1% par les quatre ports et à 99% par Suardiaz).

L'Audace, hier au terminal roulier de Montoir (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Une base solide grâce à un trafic historique
Quoiqu’il en soit, on retiendra que l’armement espagnol a très bien joué la partie. Sur la touche en 2009, il a patiemment attendu son heure et l’échec de ses concurrents pour s’imposer. Sa force réside dans cette fameuse ligne franco-espagnole, lancée en 1974 dans les bassins de Saint-Nazaire et repositionnée à Montoir deux ans plus tard. Un service pérenne et rentable dont le succès tient au partenariat historique liant Suardiaz avec PSA et le logisticien GEFCO. C’est en effet pour les besoins du groupe automobile français que la liaison a été créée. Son but : transporter en France les véhicules neufs produits en Espagne par PSA et, dans le sens inverse, acheminer les pièces détachées fabriquées en France et assemblées en Espagne. « L’avantage de cette ligne est qu’elle existe déjà, et depuis longtemps, avec un client important, PSA GEFCO, qui offre une base solide pour lancer une autoroute de la mer », explique Marcos Duato.
Un fond de cale assuré qui a représenté l’an dernier 45.000 véhicules dans le sens Vigo-Montoir et 3000 dans le sens inverse, auxquels se sont ajoutés 8000 semi-remorques pour les pièces détachées.
Le report modal de la route vers la mer
De là, Suardiaz a décidé d’épouser le concept des autoroutes de la mer en faisant labelliser sa ligne et, ainsi, bénéficier des aides étatiques et européennes pour soutenir le développement du service et à terme l’étendre à d’autres ports. En cela, il répond parfaitement aux politiques de la France, de l’Espagne et de l’Europe en faveur du report modal, qui vise à transférer une partie du trafic assuré par les camions de la route vers des modes de transport alternatifs. « L’objectif des autoroutes maritimes est de décongestionner le réseau routier et de réduire la pollution. Elles doivent apporter aux transporteurs un avantage économique et écologique, puisqu’elles permettent de réduire les émissions de CO2. Mais elles permettent aussi une amélioration des conditions de travail pour les chauffeurs, qui ne sont plus obligés de conduire sur de très longs trajets », rappelle Juan Riva, président de Suardiaz, qui estime par ailleurs que ce nouveau service constitue « une opportunité pour le développement économique des Pays de la Loire, de la Galice et du Portugal ».

Juan Riva et Marcos Duato (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Pas de chauffeurs à bord
L’armateur compte donc diversifier et accroître son activité en captant une partie du trafic de poids lourds transitant par la France et l’Espagne, notamment ceux transportant des marchandises entre la péninsule ibérique et l’Europe du nord. A cet effet, il propose aux transporteurs d’embarquer et de débarquer les remorques à Montoir et Vigo. Les chauffeurs ne sont donc pas du voyage. « C’est un trafic non accompagné. Nous embarquons seulement les semi-remorques, ce qui demande une réorganisation des transporteurs mais présente aussi des avantages », note Marcos Duato. Les conducteurs ne sont, par exemple, pas immobilisés à bord pendant la durée de la traversée, soit 36 heures, et peuvent multiplier les acheminements de camions sur une zone plus restreinte. En clair, les chauffeurs se contentent d’amener les remorques au port de départ et d’autres conducteurs les réceptionnent à l’arrivée.
(© : GPMNSN - ANDRE BOCQUEL)
Fiabilité et fréquence
Pour convaincre les transporteurs et développer le trafic, la fiabilité du service est cruciale. « La ligne est exploitée depuis 40 ans et les clients peuvent donc être rassurés quant à sa pérennité. Elle est de plus très fiable. Ainsi, en 2014, elle n’a été arrêtée à aucun moment, même lorsqu’il y avait des tempêtes dans le golfe de Gascogne », souligne-t-on chez Somaloir, l’agent de Suardiaz à Saint-Nazaire. L’expérience a également montré que l’efficacité et donc l’attractivité d’une autoroute de la mer dépendait du cadencement des départs. C’est la raison pour laquelle Suardiaz aligne maintenant un second navire et propose trois départs par semaine depuis chaque port « Nantes et Vigo disposent aujourd’hui d’une infrastructure logistique de premier ordre et d’une ligne avec une haute fréquence. Les horaires ont été ajustés pour répondre aux besoins des clients, avec deux départs en semaine et un le week-end », souligne Juan Riva. Ainsi, à Vigo, les navires débarqueront leurs cargaisons les lundis et mercredis à 8 heures du matin, avant de repartir à 18 heures, les opérations se déroulant entre 8 h et 14 h le samedi. Pour Montoir, les déchargements s’opèreront les lundis et mercredis à 6 heures du matin, les navires restant à quai jusqu’à 22 heures afin de pouvoir traiter les arrivages tardifs de camions. Pour le week-end, les débarquements seront effectués dans le port français le vendredi à 6 heures et les chargements se dérouleront à partir du samedi matin, jusqu’à 14 heures.

L'Audace à Montoir (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Deux rouliers conçus pour la ligne
Côté navires, Suardiaz a décidé d’affecter à la ligne deux navires identiques, l’Audace et La Surprise. Livrés en 1999 et 2000 par les chantiers Barreras de Vigo, ces rouliers de 141 mètres de long pour 21 mètres de large disposent de 1500 mètres linéaires de garages. « Ils ont été spécialement conçus pour la ligne et offrent une grande flexibilité pour le chargement. En plus du pont supérieur pour les voitures, trois autres ponts sont dimensionnés pour accueillir des camions. Mais ils peuvent aussi être doublés pour augmenter la capacité d’emport en voitures. Nous pouvons donc adapter la capacité des bateaux en fonction des besoins des clients », précise Marcos Duato. En fait, chacun de ces trois ponts internes est équipé de structures amovibles maintenues en position haute lorsque le chargement est constitué de camions et abaissées lorsqu’il s’agit de voiture. Dans ce cas, L’Audace et La Surprise peuvent utiliser jusqu’à sept ponts (dont trois amovibles), de quoi loger 1100 voitures, ou bien conserver trois ponts pour les semi-remorques, soit 95 pièces de fret, auxquelles s’ajoutent les 230 voitures logeables sur le pont supérieur. Bien entendu, chaque niveau est indépendant et les bateaux peuvent adopter différentes configurations en fonction de leur chargement.

L'Audace à Montoir (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Ponts garages de L'Audace (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Suardiaz a donc mis tous les atouts de son côté pour relever le challenge des autoroutes maritimes. Un challenge car, si la ligne Montoir-Vigo était rentable avec un navire seulement, il n’en va pas de même avec deux rouliers. D’où la nécessité des aides publiques, qui doivent permettre d’assurer la viabilité économique du service dès 2016.

Les dirigeants de Suardiaz en compagnie Francis Bertolotti et Jean-Pierre Chalus, présidents du Conseil de surveillance et du Directoire du port de Nantes Saint-Nazaire (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)