La CGT appelle l’Etat à faire cesser une « injustice » : CNM est le seul chantier français de réparation navale lourde dont les salariés ne bénéficient plus d’une reconnaissance des dangers liés à l’amiante. Un statut qui ouvre notamment le droit à un départ anticipé à la retraite que l’entreprise avait depuis 1954, mais qu’elle a perdu, sans que l’on sache vraiment pourquoi, en 2008. Le chantier était alors en pleine tourmente et les employés comme leurs représentants syndicaux ne se sont rendus compte de cette perte qu’un peu plus tard. La CGT a alors débuté un long combat juridique dont le dernier épisode s’est déroulé le mois dernier. Le tribunal administratif de Marseille a, le 16 mai, rejeté la demande du syndicat d’accorder aux salariés de CNM la reconnaissance leur permettant de prétendre à l’Allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA).
« Le danger est permanent »
« Le tribunal a rejeté notre demande de reconnaissance au motif d’une "exposition non significative" alors que la question posée est : sommes-nous oui ou non exposés au risque amiante ? », s’indigne la CGT. Or, selon elle, « aujourd’hui à chaque navire qui vient se faire réparer dans notre entreprise, nous sommes confrontés au danger de l’amiante, et soumis aux risques d’une exposition quotidienne. Quels que soient les armateurs, les certificats qu’ils fournissent, et les garanties qu’ils apportent, rien ne peut nous être garanti, le risque zéro n’existe pas et le danger lié à l’amiante est permanent ».
Et la CGT est loin d’être seule dans cette bataille. Le préfet des Bouches-du-Rhône, la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail (CARSAT), la direction de l’entreprise et les fédérations patronales (UPE13,UIMM)… « Tous reconnaissant l’injustice sociale dans ce dossier », souligne le syndicat.
Le soutien de la direction
« Notre soutien est total car c’est un combat parfaitement légitime », martèle quant à lui le président de CNM. « Le chantier de Marseille est le seul à avoir perdu cette reconnaissance, que Brest et Dunkerque ont notamment conservée et dont disposent aussi certains de nos sous-traitants, qui travaillent donc avec nos équipes sans pour autant avoir les mêmes droits ! C’est totalement injuste et c’est un manque de respect pour les salariés », estime Jacques Hardelay, qui confirme que les risques sont bien réels.
L’amiante encore présente sur de nombreux navires
L’exposition n’est peut-être pas « significative », mais elle peut être clairement répétitive. « Nous accueillons des navires de différents âges, construits et qui ont été précédemment réparés et entretenus dans le monde entier. Il y a des bateaux anciens, datant par exemple dans les années 90, qui ont de l’amiante. Mais cela peut aussi se trouver sur des navires récents, du fait notamment que la règlementation n’est pas toujours la même en fonction des pays, dont certains utilisent encore des produits amiantés. Nous sommes amenés à demander aux armateurs si les matières dangereuses contenues par leurs navires sont cartographiées. S’il y a de l’amiante nous prenons les dispositions nécessaires mais, parfois, les armateurs la découvre avec nous. Récemment, nous avons eu un navire qui avait passé 80 jours en arrêt technique pour enlever 2000 joints amiantés. Et bien malgré ces travaux, nous en avons encore trouvé lors de son passage à Marseille ».
En clair, comme le dit la CGT, aucune garantie n’existe et, si toutes les précautions sont prises et des procédures mises en place lorsque l’on sait l’amiante présente, en particulier dans les flocages et l’isolation, les « mauvaises surprises » ne sont pas rares. « Nous sommes responsables de la santé et de la sécurité des salariés et nous faisons tout pour éviter l’exposition mais, dans notre métier, il est impossible de savoir si l’on ne va pas tomber sur un joint amianté ». Même si le contact avec l’amiante n’est pas permanent, il serait donc plus ou moins régulier, sans qu’il soit possible, comme dans bien d’autres entreprises, d’en déterminer exactement les conséquences à moyen et long termes.
« Une aberration et une injustice totale »
Ce que l’on sait, néanmoins, c’est que l’amiante est un fléau, qu’elle a tué des centaines de milliers de personnes et qu’en plus de toutes les règlementations et mesures de protection prises, des dispositifs comme l’ACAATA sont précisément là pour bénéficier aux salariés qui ont à y faire face. « La maladie professionnelle et la dangerosité de l’amiante sont connues et reconnues de tous. Certains de nos personnels actifs sont déjà porteurs de plaques pleurales, sans compter un nombre impressionnant d’anciens salariés décédés à cause de ce poison, CMN est le seul chantier de réparation navale lourde en France dont les travailleurs ne sont pas reconnus et ne sont pas inscrits sur les listes ACAATA, ce qui est pour nous une aberration et une injustice totale », conclut la CGT, qui rappelle les études de l’Institut de Veille Sanitaire.
Jusqu’à 100.000 morts en France d’ici 2050
Alors que l’amiante a été massivement utilisée avant d’être interdite en 1997, l’IVS estimait en 2015 que 2200 nouveaux cancers et 1700 décès étaient imputables chaque année à ce produit, dont les fibres ne sont pas éliminées par l’organisme et l’altèrent lentement, les symptômes pouvant se déclarer 20 à 40 ans après le début de l’exposition.
Selon les estimations, jusqu’à 100.000 personnes pourraient encore décéder de l’amiante en France d’ici 2050.