Dans les ports, la transition écologique est devenue le nouveau credo. Elle se concentre sur les trafics, la fourniture de fuels alternatifs et la protection de la biodiversité. Un article d’Hervé Deiss, de Ports et Corridors.
Le verdissement des ports est devenu le nouveau credo pour les autorités portuaires. Inscrit dans la Stratégie portuaire nationale dévoilée lors du Comité interministériel de la mer (Cimer) du 22 janvier 2021 au Havre, il se décline au travers de trois volets : abandonner les trafics liés aux énergies fossiles, développer les fuels alternatifs et protéger la biodiversité.
Réduction progressive des trafics liés aux énergies fossiles
La première conséquence palpable de la transition écologique globale pour les ports est de voir leurs trafics liés aux énergies fossiles se réduire peu à peu, jusqu'à atteindre sans doute une portion congrue des volumes. Un véritable défi quand certains Grands Ports Maritimes français voient proportion importante et parfois majoritaire de leur tonnage réalisée avec ces trafics. Ainsi, au GPM de Marseille-Fos, les hydrocarbures représentent 54% du trafic total, soit 38,7 millions de tonnes. Des flux qui sont composés de pétrole brut, de produits raffinés, de GPL et de GNL. Sur les bords de la Loire, le GPM de Nantes Saint-Nazaire a totalisé, en 2020, 69% de ses trafics globaux sur des trafics d’hydrocarbures et de gaz liquéfié, composés d’importations de pétrole brut, d’exportations de produits raffinés et de GNL. La situation s’est modifiée en 2021 avec l’arrêt de la raffinerie de Donges en novembre 2020. Les trafics d’importation de pétrole brut ont cessé mais les importations de produits raffinés ont progressé. Au final, en 2021, la part des produits énergétiques représente 55% du trafic global du port.
Il en est de même en vallée de Seine. Haropa Port, qui réunit les ports du Havre, de Rouen et de Paris, totalise 46,5% de ses trafics pour des hydrocarbures, soit 38,9 Mt en 2021. Des flux composés essentiellement de pétrole brut et d’exportations de produits raffinés. Les vracs liquides pétroliers en vallée de Seine ont progressé en 2021 de 6%.
Arrêt rapide des importations de charbon
Parallèlement à la baisse programmée de ces trafics de vracs liquides, qui n’est que la résultante de politiques environnementales visant à sortir des énergies carbonées, le verdissement des ports passe aussi, de manière encore plus directe, par l’arrêt rapide des importations de charbon. Le Plan charbon, mis en place en 2018, prévoit de remplacer cette source énergétique par d’autres produits. Ce changement concerne encore des ports comme Dunkerque, Nantes Saint-Nazaire ou Marseille-Fos. Sur le port des Hauts de France, l’année 2021 a vu l’arrêt d’activité du Quai à Pondéreux Ouest (QPO). Le charbon a connu une année de baisse mais le trafic, notamment pour le charbon vapeur, s’établit encore à 3,4 Mt. À Nantes Saint-Nazaire, la centrale thermique de Cordemais devait s’arrêter cette année. Mais elle a finalement a été mise à contribution pour faire face au manque d’énergie nucléaire cet hiver du fait d’opérations de maintenance sur de nombreux réacteurs. Le trafic a donc connu un sursaut temporaire. Mais l’arrêt de cette centrale ne fait aucun doute, ce qui va entrainer la disparition des trafics de charbon sur la Loire. Quant à Marseille-Fos, les trafics liés à la sidérurgie (activité consommatrice de charbon) augmentent, même s’ils restent inférieurs à ceux de 2019.
Développer des trafics de substitution
Pour les autorités portuaires, l’extinction progressive des énergies fossiles doit, pour d’évidentes questions économiques, être contrebalancée par le développement de trafics de substitution. Les ports, GPM et ports régionaux confondus, n’ont d’ailleurs pas attendu la Stratégie portuaire nationale pour entamer leur mutation écologique. Déjà, en 2010, lors de l’arrêt de la raffinerie des Flandres dans le port de Dunkerque, l’autorité portuaire a posé les bases d’une réflexion sur les énergies de demain. Elle a profité de cet arrêt pour se lancer dans l’importation de GNL avec la construction de son terminal méthanier.
La transition écologique peut prendre plusieurs formes. Dans la circonscription du GPM de Marseille-Fos, la signature d’un contrat avec H2V pose les bases d’un nouvel avenir. Le port phocéen se positionne pour devenir un lieu de production d’hydrogène vert, « dans le but de décarboner les activités industrielles de la zone portuaire », souligne le port. L’unité de H2V sera développée en 6 tranches entre 2026 et 2031 pour produire 600 MW.
Sur le port ligérien, la transition énergétique passe par plusieurs projets. Le GPM de Nantes Saint-Nazaire veut devenir « l’écoport national du Grand Ouest ». Une ambition qui se décline par une stratégie de développement de la filière de l’éolien flottant, « pour pallier la baisse des énergies fossiles », précise l’autorité portuaire. En positionnant des éoliennes flottantes sur le plateau continental, cela permet de disposer de la production d’électricité verte de façon plus constante puisque la production éolienne en mer est beaucoup moins intermittente qu’à terre. Les travaux seront engagés pour disposer d’un quai avec une portance de 35t/m2 à certains endroits, un poste roulier et un quai d’environ 600 m de long. Un projet qui pourrait voir les premiers chargements se réaliser en 2026. Cette opération signifie pour le port ligérien de développer une base logistique pour construire, entretenir et déconstruire ces éoliennes flottantes.
Avitailler les navires employant de nouveaux combustibles
La transition écologique dans les ports se décline aussi par la mise à disposition d’énergies vertes pour la propulsion des moyens de transport. À Dunkerque et Marseille-Fos, les premières opérations de soutage de navires fonctionnant au GNL, notamment pour le groupe CMA CGM, ont été réalisés en 2021. Cette capacité à pourvoir offrir des énergies alternatives aux navires en escale donne aux ports une nouvelle attractivité.
Le GPM de Marseille-Fos se positionne sur ce marché pour devenir un hub de l’avitaillement en GNL sur la Méditerranée occidentale. L’armateur marseillais CMA CGM a d’ailleurs négocié avec TotalEnergies la fourniture de 270 000 t/an sur 10 ans de GNL pour ses navires. Aujourd’hui, CMA CGM mène des études pour installer une unité de production de biométhane à partir de la part biodégradable des déchets ménagers du territoire de Marseille. Ce bioGNL sera destiné aux porte-conteneurs de la compagnie. Les paquebots aussi seront concernés puisque MSC Cruises a également conclu un accord d’avitaillement à Marseille avec TotalEnergies, pour ses nouveaux navires à propulsion gaz actuellement en construction à Saint-Nazaire et qui seront exploités en Méditerranée à partir de 2023.
La recherche pour une propulsion plus vertueuse des navires se fait dans tous les sens. Le GNL, qui reste une énergie fossile, est considéré comme la principale solution de transition pour remplacer dès aujourd’hui le fuel lourd et le gasoil. Il permet en effet, par rapport aux combustibles classiques, d’éliminer les rejets d’oxydes de soufre (SOx), de réduire sensiblement les rejets d’oxydes d’azote (NOx) et de traiter les particules fines. Ce qui apporte une vraie réponse à la problématique des émissions polluantes nocives pour la santé humaine. Mais il n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre, le GNL ne permettant qu’une réduction de 20 à 30% des rejets de CO2. Les recherches pour améliorer ce résultat, par exemple grâce au bio-GNL, sont en cours. Mais l’avenir sera aussi aux nouveaux carburants, comme l’ammoniac ou l’hydrogène vert, sachant que ces options seront plus ou moins pertinentes selon les types de navires. Alors que des projets de navires à propulsion hydrogène commencent à voir le jour, le port de Marseille-Fos pourrait ainsi se positionner dans ces soutes alternatives grâce à l’installation de l’unité de production de H2V.
Le courant quai
La transition écologique portuaire prend aussi la forme de la fourniture d’électricité pour les navires lors de leurs escales. L’objectif est d’éviter de faire fonctionner les générateurs, et donc de consommer du carburant, lorsque les navires sont à quai. Alors que l’Europe devrait imposer d’ici 2030 le courant quai, les ports français mettent en place des plans pour s’équiper. Marseille, qui a déjà installé, depuis plusieurs années, de connexions pour les ferries, compte ainsi disposer de deux postes équipés pour les paquebots en 2024, puis deux autres ensuite. En vallée de Seine, les trois sites d’Haropa Port, Le Havre, Rouen et Paris seront dotés de bornes électriques pour les navires de croisière et les unités de fret.
Mais ces installations coûtent extrêmement cher, et nécessite pour certains types de navires, comme les paquebots, des puissances très importantes, ce qui pourrait obliger à faire des choix. De plus, pour que cette option soit pertinente, encore faut-il que l’énergie fournie soit verte, sans quoi l’opération n’a aucun sens puisqu’elle déporterait ailleurs le problème de la pollution. L’exemple type fut celui de ports américains de Californie qui avaient imposé le courant quai, avec des systèmes alimentés en énergie par les centrales à charbon des Etats voisins…
Des ports qui produisent leur propre énergie
Les ports pourront contribuer à alimenter les navires en énergie grâce à leur propre production d’énergie, qui doit évidemment d’abord servir à alimenter leurs propres besoins et contribuer au mix énergétique des territoires. Eoliennes, centrales de biogaz, énergie thermique des mer, panneaux photovoltaïques… Les projets d’unités de production d’énergie propre dans les enceintes portuaires se développent. Au GPM de La Rochelle par exemple, la solarisation de hangars a commencé depuis plusieurs années. Ce sont plus de sept hangars du port qui sont actuellement dotés de panneaux solaires.
Dans le port charentais, la transition écologique se décline aussi par la mise en place d’une économie circulaire pour atteindre l’objectif d’un territoire zéro carbone. L’objectif de cette stratégie mise en place entre tous les acteurs portuaires, privés et publics, prévoit d’utiliser les surplus d’une industrie comme matière première d’une autre. Ainsi, la collecte des eaux pluviales dans une entreprise peut servir à une autre société. Un système qui fonctionne sur la solidarité entre les entreprises pour éviter de consommer des matières premières. « Nous avons commencé par dresser un diagnostic de notre consommation. Avec le développement d’énergies nouvelles nous réfléchissons à créer une structure pour revendre notre surplus d’électricité produite. Les nouvelles règlementations en matière de taxation des énergies revendues ont revu les modalités de ces taxes. Cette réforme rend le modèle économique meilleur », nous a confié Michel Puyrazat, président du directoire du GPM de La Rochelle.
Développer les solutions multimodales
Malgré toutes ces bonnes actions, les ports demeurent cependant des consommateurs d’énergies fossiles pour assurer leur mission première d’être un point de passage entre le maritime et le terrestre. Dans le cadre de la Stratégie portuaire nationale, un des points sur le verdissement des ports était le développement des modes de transport massifiés, ferroviaire et fluvial. Une approche que tous les ports mettent en œuvre. Haropa Port a développé en 2021 ses offres ferroviaires en démarrant une liaison depuis Le Havre sur Chalon-sur-Saône et en développant les dessertes de Bordeaux et Vierzon. Pour répondre à la demande des chargeurs et des commissionnaires, Haropa Port a mis en place un outil informatique, MultiLand. Il permet d’objectiver sur un grand nombre de destinations françaises la pertinence d’utilisation des modes ferroviaires et fluviaux depuis ses plateformes, en affichant l'opportunité économique et environnementale.
À La Rochelle, l’opérateur ferroviaire portuaire a développé la part de ce mode au cours des dernières années. Certes, en 2021, le ferroviaire a enregistré une baisse de son trafic en raison des travaux réalisés sur le réseau local. Dans les autres ports, le multimodal intervient comme une réponse évidente à la transition écologique. Marseille-Fos investit dans le terminal combiné de Mourepiane pour une plus grande optimisation des flux ferroviaires. Sur le site de Fos, le port investit dans la desserte ferroviaire du terminal de Graveleau. À Dunkerque, la pose de la première pierre du futur « Dry Port », en arrière du terminal à conteneurs doit aussi participer à basculer une partie des conteneurs de la route vers le ferroviaire.
Biodiversité
Enfin, la transition écologique oblige les ports à regarder la biodiversité de leur environnement. Des ports comme Marseille-Fos, Nantes Saint-Nazaire ou ceux d’Outre-Mer sont propriétaires d’espaces qui sont parfois classés en zones naturelles protégées. Ces ports ont mis en place des observatoires pour analyser l’évolution des écosystèmes dans les zones portuaires. Ils visent à prévenir les atteintes importantes à l’environnement et corriger certains l’impact des activités par des actions ciblées.
Un modèle économique à repenser
L’ensemble de ces actions et investissements réalisés sont programmés sur un terme plus ou moins long. Les ports doivent trouver dans les nouvelles énergies des ressources financières. En effet, en perdant plusieurs millions de tonnes liées à la fin des énergies fossiles, ce sont des revenus qu’il faudra gommer des bilans financiers. Marseille-Fos, Nantes Saint-Nazaire, Haropa Port ou encore Dunkerque devront revoir leur budget pour faire face au manque de ressources induit par cette transition écologique. En prenant en référence un chiffre d’affaires de 1,5 € par tonne de trafic en moyenne, ce sont plusieurs millions d’euros qui sont voués à disparaître.
Enfin, en produisant de l’énergie depuis des sources locales et écologiques, le trafic portuaire va sensiblement diminuer, constituant aussi un risque pour les professions portuaires. Lors de l’arrêt de la raffinerie des Flandres à Dunkerque, outre la perte de trafic, c’est toute l’économie portuaire qui a dû être repensée. Les trafics pour la constitution de champs éoliens offshore et onshore compensera en partie les pertes de ces trafics. Derrière cette transition écologique, c’est le modèle économique des ports qui se pose pour continuer à jouer un rôle pour l’économie française.
© Un article de la rédaction de Ports et Corridors. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.