Pour la première fois en une décennie, la plus grande cale sèche de Méditerranée n’est plus en eau. Vidée en novembre dernier, la forme 10 du port de Marseille fait peau neuve en vue de sa remise en service l’année prochaine. Avec ses 465 mètres de long et ses 85 mètres de large, l’infrastructure, construite dans les années 70 pour accueillir les superpétroliers, est impressionnante, c’est le moins que l’on puisse dire. Utilisée pour la dernière fois en 2001, la forme 10 avait vu son exploitation abandonnée faute de navires suffisamment gros à réparer pour rentabiliser son exploitation. En effet, si le nombre de géants sillonnant les mers n’a fait qu’augmenter ces dernières années, les chantiers étrangers, notamment en Asie et au Moyen-Orient, se sont révélés plus compétitifs pour assurer la maintenance et la réparation des grands bateaux de commerce.

La forme 10 lorsqu'elle était utilisée (© : PORT DE MARSEILLE-FOS)

La forme 10 était en eau depuis 10 ans (© : PORT DE MARSEILLE-FOS)
Au coeur d’un grand port de croisière
Mais Marseille croit à la renaissance de son énorme cale sèche grâce à un marché de niche, celui de la croisière. Cette industrie s’est en effet considérablement développée en Méditerranée et la taille des paquebots ne fait que croître. Un accroissement significatif de la flotte qui commence des problèmes de disponibilité dans les chantiers européens. Une problématique qui s’accentue avec la mise en service de bateaux toujours plus gros et en nombre toujours plus grand. Dans cette perspective, la cité phocéenne a, clairement, une carte à jouer. Premier port français pour la croisière, Marseille a franchi l’an dernier le cap du million de passagers et entend voir ce trafic doubler d’ici 2020, grâce à un afflux considérable de paquebots. Alors que 453 escales ont été enregistrées en 2013, les navires se mettent à quai à côté de la forme 10. Une proximité géographique qui peut présenter un intérêt certain pour les armateurs désireux de perdre le moins de temps possible pour les arrêts techniques de leurs navires. Ceux-ci peuvent, en effet, débarquer leurs passagers pour passer immédiatement en cale sèche et, une fois les travaux achevés, revenir au terminal croisière et rembarquer de nouveaux clients.
Le terminal croisière des bassins de Marseille (© : CAMILLE MOIRENC)
Accueillir les plus grands paquebots du monde
Autre atout, le port dispose déjà de solides compétences en matière de réparation de paquebots. Une activité historique qui se développe rapidement depuis sa reprise en 2010 par le groupe génois San Giorgio del Porto. Chantier Naval de Marseille (CNM) exploite pour le moment les formes 8 et 9 (320 x 50 mètres et 250 x 37 mètres) situées elles aussi dans les bassins phocéens, tout près du terminal croisière. Des cales sèches de plus en plus sollicitées mais dont la longueur ne permet pas d’accueillir les plus gros paquebots du monde. C’est, précisément, ce marché qui est visé pour la forme 10, capable d’accueillir des unités comme les Oasis of the Seas (361 mètres de long), le Queen Mary 2 (345 mètres), les Freedom of the Seas (339 mètres), les MSC Fantasia (333 mètres), les Regal Princess (329 mètres) ou encore le Norwegian Epic (329 mètres).

Le paquebot Sovereign dans la forme 9 (© : MER ET MARINE)

Le paquebot géant Allure of the Seas (© : RCI)
En tout, une quinzaine de grands paquebots pourront être entretenus, réparés ou refondus à Marseille, qui aimerait bien, par exemple, recevoir l’Allure of the Seas, l’un des deux géants de la classe Oasis, qui réalisera sa première saison en Méditerranée en 2015. Il sera également intéressant de voir si certaines compagnies seront, à terme, appelées à prendre une participation dans la structure exploitant la forme 10. Ou si des accords de maintenance seront signés en marge de la construction de nouveaux paquebots géants. Une possibilité que pourrait notamment favoriser la présence des chantiers de Saint-Nazaire dans le consortium retenu par le Grand Port Maritime de Marseille pour exploiter la forme 10. Un groupement industriel emmené par San Giorgio del Porto et CNM, qui espèrent, au-delà de la croisière, pouvoir également se positionner sur les arrêts techniques des grands navires de commerce, tels les porte-conteneurs, affectés aux lignes Asie-Europe.
Un projet de plus de 28 millions d’euros
C’est en juin 2015 que la forme 10 doit être à nouveau fonctionnelle. D’ici là, il faut remettre en état l’énorme cale sèche, ce qui passe par exemple par la restauration des passerelles, le remplacement des lignes de tins (datant des années 80) et même l’évacuation de l’épave d’un ancien remorqueur, qui gît posé sur le travers. Il faudra également s’occuper des réseaux, notamment électriques, mais aussi des terre-pleins attenants et des moyens de levage. A ce titre, sur les quatre anciennes grues présentes sur place, seule la Caillard sera conservée et restaurée, les autres étant ferraillées. Les industriels envisagent par ailleurs d’acquérir de nouveaux outillages.

La forme 10 début juillet (© : MER ET MARINE)

La forme 10 début juillet (© : MER ET MARINE)

La forme 10 début juillet (© : MER ET MARINE)

Epave dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Epave dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Les abords de la forme 10 (© : MER ET MARINE)

La grue Caillard (© : MER ET MARINE)
Pour le Grand Port Maritime de Marseille, l’investissement est de 28.1 millions d’euros, le projet bénéficiant en plus d’un prêt de la Caisse des Dépôts de financements de la part de l’Etat, de la région Provence Alpes Côte d’Azur et du département des Bouches du Rhône. On notera qu’en parallèle, le GPMM va mener à bien l’élargissement de la passe nord afin de faciliter l’accès des bassins marseillais aux plus grands navires. Un chantier dont le coût est d’une trentaine de millions d’euros et qui doit être achevé fin 2015.
Le nouveau bateau-porte en cours de réalisation
Dans le cadre de la remise en service de la forme 10, la principale dépense consiste à réaliser une nouvelle « bouchure mobile ». Construit en 1975, le bateau-porte d’origine est toujours opérationnel. C’est d’ailleurs grâce à lui que la cale est aujourd’hui au sec. Toutefois, même s’il fait encore très bien son office, les futurs exploitants de la forme 10 exigent une garantie de fonctionnement de 25 ans, ce qui excède sa durée de vie. Il a donc été décidé de faire réaliser un nouvel équipement. Représentant un investissement de 13.3 millions d’euros, le nouveau bateau-porte est en cours de montage au fond de la forme 10. Le projet a été confié à la société de génie civil Spie Batignolles, à la tête d’un groupement composé également de Setec TPI et Hyrdratech (ingénierie), Cofély Inéo (équipements) et EJN Negri (travaux maritimes).

Le bateau-porte d'origine ferme la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Le bateau-porte d'origine ferme la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Le nouveau bateau-porte en construction dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)
Long de 87.35 mètres pour une largeur de 15 mètres et une hauteur de 13.3 mètres, le futur bateau-porte offrira un tirant d’eau à l’échouage de 11.8 mètres. Fabriqué en béton et doté d’une armature en acier, il pèsera 9100 tonnes et sera constitué de deux rangées de 14 alvéoles. Son fonctionnement sera gravitaire : lorsque les alvéoles seront vidées, le bateau-porte se soulèvera et flottera, ce qui permettra de le manœuvrer via un dispositif de câbles pour libérer l’entrée de la forme. La vitesse maximale de halage sera de 12.6 mètres par minute, soit environ une demi-heure pour une manœuvre complète. A l’inverse, lorsque les alvéoles seront remplies d’eau, la structure coulera et les joints situés à sa base permettront d’assurer l’étanchéité de la forme. Les opérations de ballastage et de déballastage seront menées au moyen de puissantes pompes, installées dans des alvéoles. Elles présenteront un débit de 3000 m3 d’eau par heure, sachant que le volume total du bateau-porte sera de 7340 m3, l’équivalent de trois piscines olympiques. Quant à la forme 10, une fois remplie, elle contiendra 450.000 m3 d’eau. Une masse énorme qui pourra être évacuée en seulement 3h30 grâce à la puissance du système d’assèchement. A titre de comparaison, les capacités des pompes reviendraient à pouvoir vider une piscine de villa toutes les secondes !


Le nouveau bateau-porte constitue, sur le plan de l’ingénierie et de la construction, un beau challenge. Il doit, en effet, pouvoir supporter des contraintes énormes, offrir des capacités d’assèchement colossales et avoir une durée de vie de 50 ans. Pour Spie Batignolles et ses partenaires, la conception du projet a nécessité six mois d’études alors que les travaux, démarrés le 16 décembre 2013, doivent s’achever au printemps 2015. Le coulage du béton, débuté en avril dernier, se poursuivra jusqu’au mois de décembre. Quant à la pose des équipements, elle interviendra progressivement entre septembre et avril 2015. Pour le moment, les essais dynamiques sont prévus entre le 8 avril et le 25 mai 2015, le nouveau bateau-porte devant être livré d’ici le 15 juin suivant.

Le nouveau bateau-porte en construction dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Le nouveau bateau-porte en construction dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Le nouveau bateau-porte en construction dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Le nouveau bateau-porte en construction dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Le nouveau bateau-porte en construction dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Le nouveau bateau-porte en construction dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Le nouveau bateau-porte en construction dans la forme 10 (© : MER ET MARINE)

Un élément en béton du futur bateau-porte (© : MER ET MARINE)

Un élément en béton du futur bateau-porte (© : MER ET MARINE)