Après une période très difficile, le Grand Port maritime Nantes Saint-Nazaire, un temps menacé de rétrogradation en simple port régional, connait depuis deux ans un très net redressement. Et, sous l’impulsion d’une nouvelle direction, résolument orientée vers le développement commercial, entend accentuer une dynamique retrouvée et s’imposer comme un moteur de croissance économique et de créations d’emplois sur l’ensemble du Grand Ouest.
La barre des 30 millions de tonnes repassée
Avec un trafic total de 32.5 millions de tonnes en 2018, le port de Nantes Saint-Nazaire a affiché une hausse de 8.8% par rapport à 2017 et même de 27% en deux ans. Il se rapproche ainsi de son record historique de 2005 (34.5 millions de tonnes) et, surtout, repasse pour la première fois depuis cinq ans la barre symbolique des 30 Mt, celle à partir de laquelle l’autorité portuaire fixe le « point mort » entre ses recettes et ses coûts, dont les deux principaux postes sont la masse salariale et le dragage. En clair, Nantes Saint-Nazaire regagne de l’argent. L’an dernier, son chiffre d’affaires a atteint environ 75 millions d’euros, en hausse de 20% en deux ans, la valeur ajoutée de la place portuaire étant selon les chiffres de l’INSEE de 2.6 milliards d’euros, avec en plus des 560 salariés du GPMNSN quelques 25.000 emplois induits.
Le redressement intervient après une période très compliquée, en particulier en 2015 (25.3 Mt) et en 2016 (25.5 Mt). Un recul lié notamment à la chute des trafics énergétiques - dont le gaz naturel liquéfié et le pétrole – qui représentent environ 70% des volumes traités dans l’estuaire de la Loire.

110 millions d’investissements depuis 2015
Depuis, la conjoncture internationale s’est améliorée et a favorisé le regain d’activité, mais ce n’est pas tout. « La remontée du trafic est liée à cette conjoncture mais il y a aussi eu un travail très important ces dernières années. Le port a conduit une action commerciale tous azimuts, jusqu’en Chine, et a surtout mené des investissements conséquents », explique Francis Bertolotti, président du Conseil de surveillance du GMPNSN.
Selon la devise « gouverner, c’est prévoir », le port, dont la présidence du Directoire a été assurée jusque fin 2018 par Jean-Pierre Chalus (auquel succède Olivier Tretout), s’est battu pour la mise en œuvre d’un ambitieux plan d’investissements destiné à accroître l’efficacité du port, répondre aux besoins de ses clients et diversifier ses activités. Alors que le trafic ligérien connaissait de fortes turbulences, près de 110 millions d’euros ont été investis depuis 2015 (sur les 170 millions inscrits sur la période 2015-2020).
« Nous en récoltons aujourd’hui les fruits »
Déménagement du terminal sablier, nouveau terminal roulier doté d’une passerelle supplémentaire, extension de 350 mètres du terminal à marchandises diverses et conteneurs avec une portion de 150 mètres pour les colis lourds (dont les nacelles d’éoliennes offshore produites par GE à Montoir), renforcement du quai de la prise d’eau à Saint-Nazaire pour le transbordement des sous-stations électriques produites par les Chantiers de l’Atlantique, aménagement d’un vaste hub EMR de 12 hectares destiné au pré-assemblage des éoliennes qui seront installées au large de Guérande et de Noirmoutier-Yeu, modernisation des ouvrages et outillages portuaires dans les bassins nazairiens, création de nouvelles zones logistiques, amélioration de la desserte ferroviaire, création d’une liaison fluviale entre Nantes et Montoir, construction en cours d’un Guichet Unique pour faciliter le traitement (contrôle douaniers, vétérinaires et phytosanitaires) des marchandises provenant de pays hors UE… Le port, soutenu par les collectivités territoriales, l’Etat et les financements européens, mais aussi par son choix de s’endetter en période difficile pour favoriser la reprise, a multiplié les chantiers. Et, selon Francis Bertolotti, « nous en récoltons aujourd’hui les fruits. Le trafic progresse aussi grâce à ces investissements avec pour conséquence de meilleurs résultats financiers, ce qui permet de continuer à investir et se désendetter. D’autant que les perspectives à court terme sont positives ».
Le port a aussi participé à des projets structurants impliquant des acteurs industriels, comme le dévoiement du boulevard des Apprentis, qui a permis de créer une desserte de 1.2 kilomètres élargie à 22 mètres, adaptée au transport de colis lourds. Ce qui a aussi permis aux chantiers nazairiens d’accroître leurs capacités de production en étendant leur aire de pré-montage de 17.000 m² et, ainsi, de pouvoir travailler simultanément sur 22 méga-blocs de navires, contre 16 précédemment. Une extension destinée à répondre à la forte hausse de l'activité du constructeur, qui a aussi un impact sur le trafic commercial puisque les importations de bobines d'acier nécessaires à la fabrication de coques de navires ont progressé de 20%. Le port profite donc de la bonne santé de ses grandes industries locales, ce qui est aussi le cas avec Airbus ou encore MAN, dont les exportations de moteur ont doublé.
Le rebond spectaculaire du GNL
Les investissements consentis en propre par les entreprises portuaires contribuent également au redressement du trafic, à commencer par ceux d’Elengy sur le terminal méthanier de Montoir, qui s’est imposé en 2018 comme le plus grand hub européen pour le GNL russe provenant de Yamal, acheminé par méthaniers brise-glace et transbordé sur des navires conventionnels. Une activité, cumulée à un marché international favorable, qui a permis à Elengy de voir son trafic bondir l’an dernier de 118% pour atteindre un record de 7.3 millions de tonnes, sachant que le GNL était tombé à seulement 1.26 Mt en 2014 avant de remonter à 3.3 Mt en 2017. « Là aussi, il n’y a pas qu’une question de conjoncture. Si Montoir a su attirer à ce point ce nouveau trafic, c’est que terminaux énergétiques se sont mis à un niveau technologique qui les rend attractifs ».
Le gaz est au premier rang des trafics qui ont tiré les résultats du port l’an dernier, faisant plus que compenser la baisse des autres trafics énergétiques : - 7.7% pour le pétrole brut (8.8 Mt), - 5.6% pour les produits raffinés (5.8 Mt), - 29% pour le charbon (1.3 Mt). Il est d’ailleurs intéressant de noter que le GNL a représenté l’an dernier, pour la première fois, le second tonnage du port de Nantes Saint-Nazaire. Dans un contexte de transition énergétique à venir, il pourrait même, si la tendance se confirme, devenir la première activité de la place ligérienne. « Montoir est devenu un vrai hub GNL. Le terminal n’a plus uniquement pour fonction d’injecter du gaz dans le réseau national. Il peut désormais transborder le GNL provenant de Yamal vers des méthaniers au long cours, en moins de 24 heures, charger des navires depuis ses propres cuves pour l’export et développe des solutions d’avitaillement. Un service existe déjà pour les camions et, en 2019, le terminal assurera aussi l’approvisionnement de la drague Samuel de Champlain, qui devrait revenir en février après la conversion de sa propulsion au GNL à Dunkerque. C’est une première en France et ce projet traduit notre ambition pour la transition écologique et énergétique », souligne Pascal Freneau, secrétaire général du GPMNSN. Outre le développement du gaz, le port souhaite par ailleurs, dans ce domaine, implanter dans le secteur de Donges une seconde centrale photovoltaïque, après celle inaugurée fin 2017 via la couverture en panneaux solaires de 15.000 m² de toits d’entrepôts de Sogebras à Cheviré.
Roulier et conteneurs
L’activité roulière a également connu une très belle année 2018, portée là encore, selon l’autorité portuaire, par les investissements réalisés sur le terminal. Plus de 100.000 véhicules supplémentaires, 16.000 remorques et de nombreux colis industriels, dont des moteurs d’avions de chasse et un satellite, y sont passés l’an dernier, pour un trafic de 500.000 tonnes, en hausse de 5%. Avec comme évènement important l’ouverture d’une nouvelle ligne Airbus vers Mobile, aux Etats-Unis.
Quant aux conteneurs, avec 1.9 million de tonnes et 188.000 EVP, le trafic est resté stable en tonnage (+0.2%) mais a décru de 3.9% en nombre de boites. Il était cependant bien parti, avec une hausse de 6% au premier semestre, mais s’est retrouvé plombé au second semestre après différents problèmes subis par l’industrie agroalimentaire.
Renforcement de la promotion commerciale
En dehors des investissements, la croissance du trafic est le fruit des efforts commerciaux entrepris par la place portuaire, insistent Francis Bertolotti et Pascal Fresneau. C’est dans cette perspective qu’a été lancée en septembre 2018 l’initiative « Be My Port ». Une nouvelle identité de promotion de la place ligérienne mise en place par un collectif regroupant le GPM de Nantes Saint-Nazaire, une centaine d’entreprises portuaires et les collectivités locales. L’ensemble est animé par le Pôle Achat Supply Chain Atlantique (PASCA). Objectif : développer de nouveaux trafics autour des filières prioritaires du territoire, comme l’industrie et l’agroalimentaire. « Il s’agit de renforcer l'action commerciale en faisant la promotion de nos solutions et services de manière collective. A cet effet des actions sont conduites dans les zones internationales en croissance, notamment la Chine, qui constitue une ouverture importante sur les marchés agroalimentaire, en particulier le porc et le bœuf, qui sont des produits de notre hinterland. L’Afrique centrale et de l’ouest représente aussi un potentiel intéressant de développement pour le roulier et les fruits ».
En plus de l’import, Be My Port a aussi pour vocation de soutenir le développement du trafic export en travaillant sur l’attractivité du port auprès des entreprises du Grand Ouest. Il s’agit de les inciter plus à privilégier Nantes Saint-Nazaire dans leur chaîne logistique internationale. « Entre autres exemples il y a dans la région de Cholet une importante activité manufacturière, mais les produits sont essentiellement exportés via Le Havre et les Pays-Bas qu’ils rejoignent en camions. Nous sommes pourtant très proches. Pour ce cas, et bien d’autres, il y a une logique à concentrer plus les marchandises de l’hinterland naturel et trouver des solutions pour les faire venir ici ».
Le commercial est, clairement, la priorité du nouveau président du Directoire du port de Nantes Saint-Nazaire (voir notre interview). Avec Olivier Trétout, qui arrive de CMA CGM, une nouvelle page s’ouvre selon Francis Bertolotti, qui pour mémoire a passé 40 ans dans la sidérurgie et fut notamment vice-président d’Arcelor : « Jean-Pierre Chalus a été un grand gestionnaire territorial et pour le port. Il a mis en œuvre la réforme portuaire et redressé Nantes Saint-Nazaire alors que j’apportais pour ma part une vision industrielle. Olivier Tretout, lui, apporte une ambition commerciale avec comme objectif de renforcer nos filières et nous adresser au monde ».
Sous l'impulsion de sa nouvelle direction, le port entend notamment développer le réseau de lignes maritimes vers l'Afrique, l'Amérique centrale et du sud, ainsi que l'Europe. Les effets du Brexit sont aussi regardés de près, avec l'espoir de profiter d'une réorganisation de certains flux commerciaux, par exemple vers l'Irlande, qui était desservie depuis Saint-Nazaire au début des années 2000 via un service triangulaire avec l'Espagne.

Francis Bertolotti et Olivier Trétout (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Pas de crainte concernant la perte du statut de port national
Quant au statut de Grand Port Maritime, suite aux déclarations du premier ministre, en 2017, excluant Nantes Saint-Nazaire des « grands ports nationaux », seuls l’Axe Seine, Marseille et Dunkerque étant cités, on ne se montre plus inquiet dans l’estuaire de la Loire. « Même si nous avons un tropisme plus régional, Nantes Saint-Nazaire veut rester un grand port d’Etat, ce qui le qualifie par ses trafics énergétiques puisque ses terminaux permettent de sécuriser les approvisionnements du pays. Nous n’avons pas de crainte quant à un éventuel changement de statut. Il devrait être préservé de toute idée de réforme même s’il y a une implication plus forte de la région des Pays de la Loire, dont la présence reste à définir au sein du Conseil de surveillance ».
Mais pour Francis Bertolotti, l’essentiel n’est pas là : « Le port est une entreprise et ce devrait être sa seule vocation, même si elle est aussi un aménageur et peut être un service public. Ce qu’il faut maintenant, c’est faire de Nantes Saint-Nazaire le port incontournable du Grand Ouest, jusqu’au val de Loire, et traiter le problème du cloisonnement des sites économiques et de la concurrence parfois inutile que se livrent les ports de la façade atlantique. Il faut faire le ménage et l’Etat a une responsabilité en la matière ».