En octobre 2009, l’alliance de15 stations métropolitaines et d’outre-mer donnait naissance au SPSA. Implanté à Nantes et fonctionnant sous la forme d’un syndicat professionnel, ce simulateur regroupe les stations de la Loire (Nantes – Saint-Nazaire), de Brest, de Lorient, de Saint-Malo, des Sables d’Olonne, de La Rochelle-Charente, de l'Adour (Bayonne), de Port-Vendres, de Sète, de Nouvelle Calédonie, de Te Ara Tai (Tahiti), de la Martinique, de la Guadeloupe, de Guyane et de Mayotte. L’ensemble compte 96 pilotes. « C’est une initiative très originale car c’est la première fois que des stations se rassemblent pour mettre en commun leurs moyens et leurs savoir-faire sur notre cœur de métier. Le simulateur a représenté un investissement de 2 millions d’euros et son coût de fonctionnement est de 150.000 euros par an, ces frais étant répartis entre les stations au prorata du nombre de pilotes qui y travaillent. C’est un budget important qui ne peut être supporté par les partenaires que si l’effort est réparti. Sans mutualisation, beaucoup n’auraient pas accès à un tel outil, qui serait financièrement hors de portée », explique Frédéric Quiniou, président du SPSA.
Plus de deux ans de montée en puissance
La mise en place du simulateur et sa montée en puissance ont, bien entendu, représenté un très gros travail : « Il a fallu s’approprier le matériel, étudier des modèles de navires et les tester tous pour voir si leurs réactions étaient cohérentes en cas d’avaries, créer des conditions de vent et de courant permettant de proposer des exercices réalistes dans chaque port... Et puis il a fallu professionnaliser les instructeurs. En tout, la découverte et l’appropriation de l’outil a pris plus de deux ans ». Le jeu en valait toutefois la chandelle car, cinq ans après les débuts du simulateur, Frédéric Quiniou estime que l’initiative est une vraie réussite technique et apporte une réelle plus-value en matière d’entrainement et de formation. « Les programmes que nous proposons aujourd’hui sont très professionnels et constituent des acquis pour les pilotes, qui bénéficient de stages sur mesure, avec des impacts chiffrés ».

Le simulateur (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Confronter les idées et les expériences
Parmi les bienfaits du simulateur, le président du SPSA relève que le nouvel outil a grandement favorisé les échanges entre pilotes mais aussi entre stations. « Les pilotes sont des professionnels qui connaissent leur métier mais, comme partout, on est toujours perfectible. Or, comme c’est sur le terrain un métier solitaire, il est difficile de s’auto-apprécier. C’est pourquoi il est extrêmement intéressant de se confronter à ses pairs et à des collègues qui viennent de l’extérieur. C’est ce que permet le SPSA, où l’on trouve une véritable richesse humaine et technique, avec des personnalités et des moyens très différents d’une station à l’autre, ce qui permet de confronter les expériences, de discuter des problèmes rencontrés et de trouver ensemble des solutions, qui existent parfois chez les autres. Nous avons également constaté que cette structure permettait de renforcer les liens entre stations régionales, par exemple entre la Martinique et la Guadeloupe. Les gens se rencontrent, travaillent ensemble, échangent et partagent des idées et des expériences. C’est extrêmement enrichissant et bénéfique pour tout le monde ».
Un centre à la pointe de la technologie
Installé sur les bords de la Loire, dans un ancien hangar totalement réaménagé du quai de l’Aiguillon, le centre occupe deux étages. Au rez-de-chaussée, on trouve des bureaux et une salle de préparation des séances de simulation, alors qu’à l’étage, se situent un salon et son bar, où les pilotes peuvent se restaurer et se détendre, ainsi que des chambres. « Il faut pouvoir héberger les stagiaires, surtout ceux qui viennent de loin, c’est pourquoi nous avons dès le départ choisi cette configuration, qui évite aux pilotes d’aller à l’hôtel et leur permet d’être au plus près du simulateur pour optimiser le temps ». Il n’y a en effet que quelques mètres pour se rendre au simulateur, logé dans un vaste espace prenant toute la hauteur du bâtiment.
L’outil, ultramoderne, est impressionnant, avec sa vaste passerelle surélevée équipée comme celle d’un navire de commerce. Derrière les vitres, les pilotes disposent d’une vision panoramique à 270 degrés en continu, grâce à un grand écran circulaire fixé aux cloisons. Celles-ci sont à plusieurs mètres de la passerelle, ce qui donne un bel effet de recul et renforce le réalisme des exercices. Comme sur un vrai navire, il est également possible d’aller sur les ailerons pour avoir un autre point de vue ou jeter un coup d’œil au quai en phase d’accostage. On peut aussi regarder en arrière, grâce à deux écrans « orientés » vers la poupe virtuelle du bateau. « C’est extrêmement réaliste, l’écran occupe tout le champ de vision et en un quart d’heure, on est complètement immergé ».

Le simulateur (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)

Le simulateur (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Chenaux, digues, écluses, quais, grues, bâtiments, autres bateaux… L’outil informatique reproduit fidèlement l’environnement de chaque port où sont implantées les stations membres du SPSA. Il en va de même pour les types de navires sur lesquels les pilotes vont s’entrainer, avec une base comprenant des centaines de bateaux, le simulateur se comportant en fonction des caractéristiques techniques de la plateforme, qu’il s’agisse par exemple de motorisation, d’inertie ou de prise au vent. Dans le même temps, le système simule parfaitement la météo et les conditions de mer. Le niveau de difficulté peut, ainsi, être accru, en augmentant la puissance de la houle et du vent, ou encore en diminuant la visibilité avec de la pluie ou un épais brouillard. En passerelle, on remarque également des caméras, qui enregistrent les faits et gestes du pilote lors de l’exercice. A l’issue de la séance, ces images peuvent servir de support pour que le marin constate de lui-même une erreur ou un oubli. « Il y a des actions qui paraissent anodines et qui, pourtant, sont extrêmement importantes et doivent devenir des réflexes. Par exemple, lorsque l’on est sur un navire et que l’on donne un conseil de manœuvre au commandant, celui-ci ou le barreur le répète avant de l’exécuter. Malgré cela, il faut s’assurer que le barreur a bien fait ce qu’on lui a demandé, ce qui passe par un petit coup d’œil sur l’angle de barre. C’est nécessaire car les statistiques montrent que de nombreux problèmes proviennent d’une mauvaise compréhension ou interprétation des ordres. La vérification est très simple et devrait être automatique. Pourtant, on constate assez régulièrement que les pilotes oublient de le faire, ce qu’ils peuvent eux mêmes constater avec la caméra, parfois à leur grande surprise ».

Navigation en pilotine par mer formée (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Chaque station gère son programme
En fonction de ses effectifs, chaque station partenaire se voit allouer chaque année un certain nombre de jours pour utiliser le simulateur. A elle, ensuite, d’organiser ses exercices de simulation en fonction de ses besoins. « Chaque station suit son propre fonctionnement pour les jours alloués et a recours aux instructeurs de son choix », note Frédéric Quiniou. Côté instruction, ce sont bien évidemment des pilotes qui sont aux commandes. Il s’agit généralement de jeunes retraités, choisis pour leurs compétences et élus par le groupe. « L’objectif est de disposer de pilotes expérimentés qui n’ont rien à prouver et sont là pour transmettre leur savoir-faire ». Au SPSA, six instructeurs sont actuellement habilités.
Les pilotes charentais à la manoeuvre
En cette journée estivale, en plus de Frédéric Quiniou, on trouve au SPSA Jacques Auffret, ancien pilote de Loire aujourd’hui instructeur, ainsi que deux pilotes charentais, Eric Le Bolloc’h et Pierre Gloor. Oeuvrant sur les ports de La Rochelle, La Pallice, Tonnay et Rochefort, la station de La Rochelle-Charente dispose chaque année d’un quota de 21 jours de formation au SPSA, ses huit pilotes y effectuant des stages de 48 heures. « Ces stages sont préparés en amont dans nos locaux de La Pallice, où nous disposons de matériel avec le même logiciel, ce qui permet de construire les exercices et les programmes sur lesquels les pilotes travaillent ensuite, en immersion, au SPSA. Les instructeurs sont là pour critiquer techniquement, en travaillant sur des points précis », explique Eric Le Bolloc’h. Pilote depuis 20 ans, l’officier est à la station de La Rochelle-Charente responsable de la formation et des exercices au simulateur. Lui aussi se montre très positif quant aux échanges inter-stations que permet depuis cinq ans le SPSA : « Auparavant, nous ne discutions pas vraiment, entre nous, de notre métier. Cette structure a vraiment permis de nous rencontrer, de mieux se connaitre et de voir quelles sont les pratiques d’une station à l’autre. Cela apporte un œil neuf sur nos manœuvres, dont on peut parler en détail avec les pilotes d’autres stations ».

L'une des pilotines de la station charentaise (© PILOTES DE LA ROCHELLE-CHARENTE)
Des exercices adaptés au niveau des stagiaires
Le champ d’action du simulateur est en fait très vaste puisqu’il sert de la formation initiale des pilotes jusqu’au perfectionnement des plus chevronnés, qui ne manquent pas d’utiliser cet outil pour se mesurer à des situations exceptionnelles. « On ne propose évidemment pas les mêmes stages pour les jeunes pilotes, ceux qui sont en milieu de carrière et ceux qui sont vieillis en fût de chêne ! La gamme change. Les jeunes s’entrainent en faisant des passes successives, ce qui leur apporte du savoir-faire et de la sérénité. Pour les petits nouveaux, nous vérifions que tous les fondamentaux sont bons, ce qui n’est pas inutile car, même s’ils ont décroché le concours, on se rend compte régulièrement que certains points clés sont mal intellectualisés ». Le niveau des exercices s’élève ensuite en fonction de l’expérience du stagiaire. Pour les pilotes qui ont quelques années de métier derrière eux, on travaille les manœuvres plus dans le détail, les sessions comportant toujours des objectifs pédagogiques, l’instructeur aidant à la manœuvre et analysant l’action du stagiaire. Les pilotes confirmés se perfectionnent quant à eux sur des scénarios à la complexité grandissante et, pour les plus expérimentés, « nous travaillons sur des exercices impliquant des manœuvres très rares, que nous débriefons ensemble et pour lesquelles des doctrines sont ensuite imaginées dans les stations », précise Frédéric Quiniou. De manière générale, l’essentiel des opérations réalisées par les pilotes se passe bien. Toutefois, comme partout, le pilote peut avoir à gérer dans l’urgence des difficultés, liées la plupart du temps à des avaries sur le navire servi.
Recréer des situations exceptionnelles
Là encore, le simulateur permet de recréer ces situations, parfois exceptionnelles, afin de déterminer la meilleure réaction possible en fonction de l’évènement et de faire partager aux autres pilotes ce retour d’expérience. « Etre confronté à des situations rares a un impact très fort sur la réactivité. Lorsqu’un pilote y fait face régulièrement, grâce au simulateur, il est plus serein lorsqu’elles se produisent dans la réalité. Avec les années, on mesure vraiment le bénéfice que cet outil apporte à ce niveau ».
Ces « cas rares » touchent par exemple l’accumulation improbable, mais qui se produit parfois, d’un certain nombre de pannes, ou encore des conditions météorologiques très particulières. Pour les pilotes rochelais, il s’agit par exemple des navigations sur la Charente dans un brouillard à couper au couteau. « Nous avons très peu de jours dans l’année où nous naviguons en pleine brume. L’expérience dans la réalité est donc trop faible pour que les pilotes soient au top dans ces conditions. Heureusement, le simulateur s’est avéré très efficace pour les entrainements en brume, ce qui nous permet, lorsqu’une journée comme celle-ci se présente, de travailler de manière beaucoup plus sereine grâce à l’expérience accumulée au SPSA », note Eric Le Bolloc’h.

Sur la Charente par temps de brume (© PILOTES DE LA ROCHELLE-CHARENTE)
Elaborer des « plans B »
Le simulateur sert également à élaborer des « plans B », c'est-à-dire des manœuvres de secours au cas où les scénarii classiques ne pourraient être appliqués. Dans certains cas, l’outil informatique a même permis de remettre en cause certaines procédures pour en adopter de nouvelles dont la faisabilité semblait jusque là exclue. Ce fut le cas pour une zone d’évitage annexe destinée aux gros pétroliers fréquentant le terminal de Donges, près de Saint-Nazaire : « Une zone de retournement avait été intellectualisée il y a longtemps avant le pont de Saint-Nazaire. Elle avait, à l’époque, été choisie en fonction des cailloux, des courants, des bancs de sable et de la profondeur d’eau. Lorsque le simulateur a été mis en service, nous avons vu que l’idée des anciens n’était pas mauvaise, mais qu’il y avait mieux. Il fallait néanmoins s’entrainer car la solution alternative, située à un autre endroit du fleuve, offrait moins d’espace pour éviter, ce qui implique un très bon tempo dans la manœuvre. C’est ce que nous avons fait et, six mois plus tard, nous avons réalisé sans problème le premier retournement du genre avec un navire de 80.000 tonnes », confie Frédéric Quiniou.
Le port de La Rochelle (© GPMLR)
Le port de La Rochelle valide ses nouvelles infrastructures grâce au SPSA
Le SPSA s’est également révélé très utile dans le cadre de la préparation de nouveaux projets. Ainsi, lorsque les ports décident de réaliser une nouvelle infrastructure, les pilotes peuvent vérifier que les plans envisagés sont optimums pour les manœuvres des navires. « A La Rochelle, nous avons eu le cas avec l’Anse Saint-Marc. Avant même que le nouveau terminal voit le jour, nous l’avons modélisé sur le simulateur pour mettre virtuellement des bateaux à quai et, ainsi, vérifier que les options envisagées étaient correctes. Nous avons même pu évaluer très en amont les conditions d’exploitation en déterminant les limites de taille et de courant pour les navires qui fréquenteront les futurs terminaux », souligne Eric le Bolloc’h. Ainsi, grâce au simulateur, les pilotes peuvent désormais travailler avec les autorités portuaires pour valider les nouveaux projets d’aménagement. Pour La Rochelle, ce travail a donc été réalisé dans le cadre du chantier de l’Anse Saint-Marc, mais aussi pour le nouveau port de service qui verra bientôt le jour à La Pallice. « Nous avons là aussi réalisé une modélisation afin de tester différentes morphologies pour ce projet, par rapport à la navigation et l’utilisation de quais dans l’avant port ». Idem pour l’évolution du trafic au quai chef de Baie, qui reçoit des navires de plus en plus gros. Même si certains dépassent aujourd’hui les capacités théoriques du terminal, le simulateur a permis de démontrer qu’il était possible de réaliser des accostages en réduisant la vitesse, ce que des instruments de mesure installés à terre ont pu confirmer. « Ainsi, tous les opérateurs du Grand Port Maritime de La Rochelle sont largement associés au projet simulateur, qui participe entièrement à son développement, en permettant de valider les options et les choix d’aménagements portuaires inscrits au projet stratégique », souligne Thierry Warion, président de la station charentaise.

Entrée dans le sas de Rochefort (© PILOTES DE LA ROCHELLE-CHARENTE)
Et Thierry Warion de préciser que le simulateur est tout aussi utile pour les ports départementaux de Rochefort / Tonnay–Charente, et même celui de La Rochelle – Ville, qui bénéficient des mêmes avancées technologiques offertes par le SPSA. « La numérisation de la rivière Charente est en cours d’achèvement, mais à terme, il sera possible de recréer de manière la plus fidèle possible les conditions délicates de la remontée de cette rivière étroite et sinueuse, ce qui sera particulièrement utile dans le cadre de la formation d’un pilote nouvellement recruté, ou pour élaborer des scénarios pour remédier à des situations dégradées ou d’urgence ».

Le simulateur du SPSA (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Prévention des risques
L’équipe du SPSA a, ainsi, entrepris un important travail de prévention destiné à limiter les risques d’accidents. Pour cela, les pilotes veulent s’appuyer sur des statistiques les plus larges possibles, en compilant les informations provenant des ports français, mais aussi en oeuvrant au niveau européen. « Il faut mettre en commun à grande échelle les statistiques sur les accidents et les quasi-accidents pour déterminer, via une analyse de ces données, des occurrences sur les facteurs sources de problèmes. De là, nous détermineront des points de vigilance à travailler », souligne Frédéric Quiniou.
Un outil qui a fait ses preuves
Au final, le SPSA a entrainé une évolution significative de l’approche du métier, de la formation et de l’entrainement pour les pilotes des 15 stations associées au projet. Une réussite qui n’était pourtant pas, aux dires de Frédéric Quiniou, évidente pour tout le monde au départ : « Les anti-simulateurs étaient nombreux à l’origine mais l’outil a fait ses preuves. Finalement, les simulo-sceptiques ont disparu, il ne reste que des simulo-critiques, et ils sont de moins en moins nombreux car les programmes s’améliorent au fil du temps, des retours d’expérience et des remarques formulées par les utilisateurs. C’est, pour nous, le meilleur gage de réussite ».