Les tensions diplomatiques entre l’Ukraine et la Russie préoccupent bon nombre d’opérateurs. Les différents scénarios d’attaque de la Russie pourraient avoir des effets sur les installations portuaires. Du côté des céréaliers, l’heure est à l’attentisme. Un article de la rédaction de Ports et Corridors.
Un rapport publié par Risk Intelligence le 14 février sur les conséquences maritimes de la crise ukrainienne fait ressortir les perturbations qui peuvent se produire dans la région si une attaque russe survient en Ukraine. Selon le cabinet d’analyse, cinq scenarios sont possibles. Le premier prévoit une opération « hybride » avec des cyber attaques vers des installations gouvernementales pour limiter le fonctionnement des institutions.
Blocage des ports de la mer Noire
Le second prévoit un blocage des ports de la mer Noire pour limiter les approvisionnements et les exportations. Le troisième scénario se cantonnerait à la région du Dombas dans la continuité de l’annexion de la Crimée. Le dernier scénario imaginé par Risk Intelligence serait de voir la Russie envahir totalement l’Ukraine. Une hypothèse qui pourrait avoir aussi une déclinaison plus limitée en envahissant les régions orientales de l’Ukraine pour concentrer les efforts sur les ports ukrainiens de la mer Noire.
Des dommages collatéraux
Dans tous les cas, Risk Intelligence estime qu’il existe des risques pour les ports de mer Noire. Que la Russie envahisse l’Ukraine ou simplement attaque les bases militaires ukrainiennes, des dommages collatéraux peuvent survenir sur les installations portuaires. Du côté ukrainien, il n’est pas impensable de voir des attaques des forces spéciales contre les intérêts russes dans les ports de la mer d’Azov. « Finalement, il est possible de voir des mines déployées par l’une ou l’autre partie dans la région avec des risques pour la navigation maritime. » De plus, le cabinet d’analyse des risques n’exclut pas de voir des attaques contre les infrastructures terrestres en Ukraine pour limiter les approvisionnements et les exportations du pays.
Les premiers effets des manœuvres navales russes
Ces perspectives prennent en compte les évolutions de la situation maritime dans la région. En effet, au cours des derniers jours, l’accès aux ports ukrainiens de la mer Noire a été mis à mal par des manœuvres navales russes. Les Panamax ont craint de ne plus pouvoir atteindre les ports d’Odessa, de Pivdennyi et de Chornomorsk. Selon le site de Euromaidanpress, le ministère des infrastructures d’Ukraine a proposé une route pour contourner le blocage russe. Dans la soirée du 14 février, continue le site internet, le Melia, navire de 76 225 t, a chargé des céréales dans le port de Yuzhny, dans la région d’Odessa. « Il s’agit du premier navire de type Panamax à avoir contourner le blocage russe des ports ukrainiens », indique le site internet ukrainien.
La crise n’empêche pas le commerce
En ouvrant la voie aux ports ukrainiens, le Melia semble confirmer la tendance observée par les analystes. La crise ukrainienne n’empêche pas le commerce même s’il subit des hausses. En effet, dans son rapport pour la semaine du 7 février, le courtier Banchero Costa constate une progression des taux de fret pour les navires en mer Noire. Ils ont enregistré une hausse de 2 000 $ à 3 000 $ en une nuit. Un navire de type Handysize depuis la mer Noire se négocie en moyenne à 16 500$ par jour. Une augmentation tarifaire qui n’a pas empêché plusieurs opérateurs à fixer des navires pour aller charger en Ukraine.
Céréales: pas d’incidences sur les exportations
Des tensions qui sont observées à la loupe par les négociants en céréales. Pour le consultant russe Andrey Sizov, ces tensions diplomatiques ne devraient pas avoir d’incidence sur les exportations de céréales depuis les marchés de la mer Noire. Le potentiel exportable par les deux pays reste élevé pour la fin de la campagne actuelle.
Première hausse de prix
Une analyse que l’observatoire russe des marchés céréaliers, SovEcon, ne partage pas. Déjà, ces tensions diplomatiques ont eu un effet sur les prix. Il a constaté une baisse du prix FOB des blés russes de 12,5% en ce début de semaine pour s’établir à 316$/t le 14 février. Une diminution qui n’est pas liée directement aux tensions. En effet, la parité du rouble s’est effritée ces derniers jours. D’autre part, les taxes à l’exportation imposées depuis le mois de juin par Moscou ont été revues à la baisse. Ces éléments donnent aux blés russes une nouvelle compétitivité sur le marché international d’autant plus que les stocks russes sont estimés à 24,6 millions de tonnes, soit un niveau haut pas atteint depuis 2017.
Une meilleure évaluation des risques
Dans ces conditions, Andrey Sizov, analyste des marchés céréaliers de mer Noire, estime que « le marché de la mer Noire semble ignorer les tensions diplomatiques ». Les cours des céréales ont augmenté entre 1% et 4% au cours de la semaine du 7 février. Il peut s’agir d’une meilleure évaluation des risques que le marché de Chicago. « En effet, ce dernier a enregistré une baisse de 3% le 11 février après l’annonce par la Maison blanche d’une guerre imminente », indique Andrey Sizov.
La crise ukrainienne aura des effets sur les volumes de céréales échangés pendant la campagne actuelle par la Russie et l’Ukraine dans le monde, dès lors que des sanctions seront imposées par les Occidentaux. Ces deux pays demeurent parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux de céréales. Néanmoins, les négociants ont une position plutôt attentiste. Les récoltes 2021 dans le monde ont été bonnes. Cela permet d’ouvrir les approvisionnements depuis d’autres sources. Ainsi, par exemple, le ministre de l’Agriculture égyptien, un client important de l’Ukraine a déclaré le 14 février, qu’il a ouvert les importations depuis des marchés comme la France, les États-Unis et la Roumanie. Le pays a constitué un stock de cinq mois. Une réserve faite en anticipation des prochaines semaines de Ramadan. Une façon de se prémunir d’éventuels blocages portuaires.
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