Après la construction navale, va-t-on assister à la création d’un chantier de démantèlement de bateaux à Saint-Nazaire ? Le projet, très sérieux, n’est pas porté par STX France mais par le Grand Port Maritime de Nantes Saint-Nazaire, qui étudie la faisabilité d’utiliser les formes de radoub 1, 2 et 3 du bassin de Penhoët pour permettre à un ou plusieurs opérateurs privés d’établir une telle activité. Jusqu’ici, ces formes, qui peuvent accueillir des navires de différentes tailles, allant jusqu'à près de 200 mètres, ont été exclusivement dédiées à la réparation navale, mais elles sont loin d’être occupées en permanence. D’où l’idée de l’autorité portuaire de développer une fonction complémentaire sur le site en se servant des installations existantes.
Dans cette perspective, le GPMNSN a élaboré un dossier qui a été soumis par le préfet de Loire Atlantique à l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Un dossier destiné à permettre la réalisation de l’enquête publique préalable à la délivrance d’une autorisation au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Pour voir le jour, le chantier de démantèlement ligérien devra faire l’objet d’un arrêté préfectoral qui intègrera les résultats de la procédure administrative et de l’enquête publique, ainsi que des éléments d’application de la loi sur l’eau, à laquelle la réparation navale comme la déconstruction sont assujetties.

Les formes 1 à 3 àdans le bassin de Penhoët (© GEOPORTAIL)
Les recommandations des experts de l’Etat
En attendant, l’Autorité environnementale, qui s’est penchée sur le sujet le 22 janvier, a rendu son avis sur le dossier du port. Les experts de l’Etat estiment que « l’étude d’impact est bien structurée, et très bien illustrée. Toutefois, elle ne permet pas, faute de hiérarchisation, de faire clairement ressortir les impacts spécifiques du projet ». L’Ae recommande néanmoins au GPMNSN d'améliorer sa copie sur plusieurs points. D’abord, elle lui conseille de « mieux préciser les moyens mis en oeuvre vis-à-vis de ses prestataires pour maîtriser les différentes opérations que les démantèlements comportent et donc tenir les engagements qu’il prend en faveur de l’environnement ». Ensuite, de faire « reposer l’évaluation des impacts du projet sur des hypothèses chiffrées quant aux quantités des différents polluants et déchets qui pourront être produits chaque année par l’installation ». L’Ae préconise, par ailleurs, de prévoir un dispositif de suivi du bruit occasionné par le chantier, sachant que des habitations se trouvent à moins de 100 mètres des formes. Et de « s’engager à réaliser, avant leur lavage à l’eau, le nettoyage mécanique des fonds de forme, quand s’y seront déposées des poussières susceptibles de comporter des tributylétains, des polychlorobiphényles ou des métaux lourds, ainsi que, plus généralement, toute mesure de confinement utile ». Concernant les rejets liquides, elle recommande de présenter un dispositif de suivi des rejets du site, en concentration et en flux, y compris pour les polychlorobiphényles (PCB) et TBT, ainsi que de préciser les mesures prises pour respecter les normes de rejet en matière de demande chimique en oxygène (DCO).

Le Zortürk a immobisé la forme 3 durant près de deux ans (© MER ET MARINE - VG)
Le Zortürk comme élément déclencheur
Plusieurs raisons sont à l’origine du projet du port d’implanter une activité de déconstruction à Penhoët. La première est un souhait du GPMNSN de rentabiliser son outil portuaire, puisque les activités de réparation navale ne permettent d’occuper qu’à mi-temps les formes 1 à 3. La même logique a présidé au projet d’implantation d’un hub logistique pour l’éolien offshore près de la forme-écluse Joubert, qui demeure sous-utilisée. Alors que le marché de la réparation navale est très volatil et incertain, le port espère, en diversifiant l’occupation des formes, mieux remplir celles-ci. Pour ce qui est du démantèlement, des industriels auraient déjà manifesté leur intérêt pour ces infrastructures.
Mais l’élément déclencheur du projet est en fait un navire, le Zortürk, immobilisé depuis plus de quatre ans dans le bassin de Penhoët. Long de 154 mètres pour une largeur de 24 mètres, l’ex-Aspet, un cargo fluviomaritime construit en 1983, avait trouvé refuge à Saint-Nazaire en juillet 2009 après avoir failli couler suite à une voie d’eau. Pour éviter le naufrage, il avait été mis au sec dans la forme 3, où il est resté durant deux ans. Car son armateur, suite à ces déboires, avait disparu, abandonnant son bateau et une dizaine de marins, finalement rapatriés chez eux sans avoir touché leurs arriérés de salaires. Repris fin 2011 et réparé, le cargo avait quitté le pavillon géorgien pour celui du Togo. Rebaptisé Zortürk, il devait partir de l’estuaire de la Loire en 2012. Mais il n’a pas bougé, les Affaires maritimes estimant qu’il n’était pas en état d’appareiller. Et les travaux de sécurité supplémentaires demandés n’ont pas été réalisés, le cargo se retrouvant une nouvelle fois à jouer durablement au navire ventouse. Face à cette situation et à la gêne provoquée par cette vielle coque encombrant un quai, le GPMNSN a engagé des procédures judiciaires pour prendre possession du Zortürk. Lorsque ce sera chose faite, il envisage de le faire démanteler dans la forme n°3.

Le bassin 3 sert à la réparation navale (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Des opérations ponctuelles ou une filière durable ?
Reste maintenant à savoir s’il est possible de développer à Saint-Nazaire une véritable filière de déconstruction, ce qui suppose la présence de sociétés spécialisées, notamment pour le traitement des déchets dangereux, comme l’amiante sur les vieux bateaux. Le marché est en fait très complexe et, en France, cette industrie n’en est qu’à ses balbutiements. Cela, pour des raisons essentiellement économiques, la rentabilité de cette activité étant très difficile compte tenu des contraintes règlementaires françaises, de la concurrence des pays à bas coûts et de la valorisation actuelle des métaux. C’est pourquoi, à l'exception des bateaux détruits suite à insolvabilité et saisie par l'Etat (comme l'ex-Matterhorn à Bordeaux), les seules grandes coques démantelées pour l’heure dans l'Hexagone sont d’anciens bâtiments militaires, dont l’élimination est financée par le ministère de la Défense. Mais même dans ce cas, la concurrence européenne est très vive, les derniers marchés ayant échappés aux industriels français pour partir en Belgique. Concernant la Marine marchande, les opportunités sont extrêmement limitées, puisque les armateurs cèdent généralement les navires avant qu’ils soient trop vieux. Des bateaux qui finissent la plupart du temps leur vie à naviguer sous pavillon de complaisance dans des régions peu regardantes en termes de contrôles. Puis ils terminent un beau jour sur une plage indienne, chinoise ou du Bengladesh, pour être ferraillés dans des conditions bien éloignées de ce que peut exiger la règlementation européenne.
Malgré tout, en plus des navires hors d'usage, abandonnés dans les ports et qu’il faut éliminer un jour ou l’autre, il existe probablement un marché local. Par exemple des bateaux désarmés de taille relativement modeste, pour lesquels un remorquage lointain n’est pas rentable. On peut penser à des vedettes, des remorqueurs ou autres navires de services portuaires, comme de vieux baliseurs. Il y a aussi, pour prendre l’exemple de Nantes Saint-Nazaire, les anciens bacs de Loire, récemment désarmés suite à leur remplacement par des unités neuves et qui attendent, le long d'un quai, d'être fixés sur leur sort.